mardi 12 octobre 2010

Joan Miro chez Burda

Mon dernier article à paraître dans Transversalles (15 octobre au 15 novembre).
L'expo Miro est superbe et très pédagogique. L'audioguide est conseillé pour mieux entrer dans l'univers du peintre et pour comprendre une peinture qui, si elle semble simple en apparence, peut vite être perçue comme hermétique au néophyte.

Les couleurs de la poésie

Le Musée Frieder Burda à Baden Baden présente, et ce jusqu’à la mi-novembre encore, une splendide rétrospective sur le travail du peintre espagnol Joan Miró. Une centaine d’œuvres, peintures, sculptures et céramiques, provenant de collections publiques et privées ont été ici réunies, permettant au spectateur d’appréhender la production d’un artiste culte du vingtième siècle, reconnaissable au premier coup d’œil, mais souvent mal connu cependant. Une occasion remarquable d’embrasser du regard et en une visite quelques six décennies de création. Né en 1893 à Barcelone, Joan Miró est destiné par sa famille à suivre des études de commerce. Cependant, dés sa quatorzième année, le jeune homme s’inscrit aux cours d’une école de beaux arts et c’est à partir de 1911 que ses parents acceptent la volonté de leur fils de se consacrer à l’art. Très influencé par les impressionnistes, Cézanne, les Fauves et les symbolistes, il découvre Picasso au travers des décors des Ballets russes de Diaghilev à Barcelone en 1917. Sa première exposition se tiendra l’année suivante à la galerie Dalmau. Celle-ci est très mal accueillie par le public mais partiellement soutenue par le presse. En 1920 il part pour Paris est touché en plein par le dadaïsme et le cubisme. Il fait la connaissance d’Antonin Artaud, Georges Bataille et d’autres encore et se dégage doucement des conventions picturales. Il participe en 1925 à une exposition à la galerie Pierre (Paris) avec Giorgio de Chirico, Max Ernst, Paul Klee, Man Ray, André Masson et Picasso. Il fait partie du groupe des surréalistes, mais s’en détachera plus tard. En 1937, suite au bombardement de Guernica, il créé un timbre qui sera aussi tiré en affiche. Il est également retenu pour réaliser une peinture pour le pavillon de l’Espagne républicaine à l’Exposition Universelle de Paris.
La première grande rétrospective consacrée à Miró est organisée à New York au Museum of Modern Art fin 1941. Elle obtient un très vif succès et aura une influence marquée sur les peintres américains. Cette rétrospective lui apportera le rayonnement qu’il méritait et le propulse sur la scène artistique internationale. Miró commence ses premières sculptures en 1944 avec le céramiste Josep Llorens Artigas. Il expose à la galerie Maeght en 1948, année qui marquera son retour et sa reconnaissance par les milieux parisiens. Il s’installe en 1956 à Palma de Majorque ou il fait construire son atelier. Les rétrospectives se suivent New york 1959, Paris 1962, Londres 1964, Madrid 1978... La première fondation Miró est ouverte en 1975 à Barcelone (une autre sera inaugurée à Palma de Majorque en 1992). Joan Miró meurt le 25 décembre 1983 à Majorque.
L’exposition est le fruit d’une formidable réunion de tableaux, sculptures et céramiques, issus de grandes collections publiques mais aussi du fonds privé de la famille de Miró. Le parcours est clair, bien structuré, et le bâtiment conçu par l’architecte Richard Meier se prête merveilleusement à cette peinture du soleil, à travers l’importance des surfaces vitrées orientées au sud. La force et la vibration de la couleur s’en trouvent renforcées, soulignant à l’envie la dimension poétique du travail de l’artiste catalan. Des premières toiles datant d’avant 1920 aux dernières sculptures de 1982, l’exposition suit une organisation chronologique. Le cheminement est naturel et la visite se déroule comme une promenade dans l’univers coloré du peintre. Dans ses toiles réalisées de 1924 à 1927, on est frappé par l’importance des champs de couleur, sur lesquels sont parsemés des signes intrigants, à la manière d’une partition sans portée. Correspondant à la période surréaliste, tant dans l’approche esthétique que dans les techniques utilisées pour les réaliser (automatismes, exploitation des rêves) elles annoncent déjà la suite de l’œuvre. L’artiste n’aura de cesse d’organiser ces éléments primordiaux dans un univers en construction permanente, confrontant sans relâche la réalité à sa sensibilité et son imagination
Miró aimait à observer les choses simples, les éléments de la nature mais aussi les objets du quotidien. Leur observation s’apparente chez lui quasiment à une méditation de travail. L’artiste cherchait la vie dans toute chose et l’immobilité déclenchait chez lui une formidable mise en mouvement, un élan créateur d’une rare densité. La photographie le montrant assis dans le jardin zen du temple Ryoan-ji de Kyoto, en 1966, est à cet effet assez significative. Laisser tomber le superflu, se dépouiller de l’inutile pour ne garder que l’essentiel.

Voilà ce qui pourrait constituer la trame de l’œuvre. Pas de surcharge, aller vers le dépouillement pour mieux dire. On comprend pourquoi Miró était aussi appelé le peintre de la poésie. On peut par ailleurs trouver l’influence de la calligraphie extrême orientale dans son œuvre, en particulier dans les signes dont il parsème ses toiles, et qui forment autant d’idéogrammes symboliques et secrets. Parmi toutes les toiles exposées, plusieurs d’entre elles pourraient émerger et constituer des repères, à la manière de balises de repérage. « L’espoir du condamné à mort » (1974) nous semble être l’une des plus marquantes. L’engagement politique, le refus de la barbarie sont au cœur de ce triptyque qui fait suite à l’exécution le 2 mars 1974 d’un étudiant anarchiste Salvador Puig Antich. La puissance synthétique de ces trois tableaux est absolument saisissante. A travers une économie de moyens, un trait noir, une tache de couleur variant à chaque tableau, l’artiste illustre de manière expressive et symbolique la force dramatique de la condamnation, de l’injustice et de la révolte.
La céramique et la sculpture sont bien représentées dans l’exposition. C’est principalement avec le céramiste Josep Llorens Artigas que le Miró travailla. La production de vases et terres cuites est évoquée dans une salle du premier étage. Les sculptures sont réparties au gré des salles, la plus remarquable étant à notre sens « La déesse de la mer » (1968) qui fut immergée au large de Juan-les-Pins en 1972.
L’exposition présentée au musée Burda permet de découvrir et d’approfondir l’œuvre d’un artiste singulier, qui n’eut de cesse de développer son langage propre, transcrivant sous différentes formes son expression poétique. A la croisée des grands courants artistiques, il reste aujourd’hui l’un des maîtres incontestés de l’art du vingtième siècle.

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