vendredi 30 novembre 2012

L'Appel de la Forêt

Le Musée Würth Erstein a démarré il y a quelques jours sa dernière exposition. L'Appel de la Forêt regroupe une belle et éclectique collection d'oeuvres de la fin du 19ème siècle à nos jours autour d'un thème, la forêt, devenu universel dans l'art et prenant une valeur particière dans l'histoire de l'Europe Centrale et du Nord, particulièrement en Allemagne. Voici mon dernier article qui paraîtra dans le numérode décembre de Tranversalles. Le texte peut sembler un peu long, mais l'expo est si dense et intéressante que même en ne parlant que d'une partie des oeuvres exposées, cela prend nécessairement un peu de place...
Résonances sylvestres


Le Musée Würth-Erstein présente, depuis septembre et jusqu'à la mi-mai, « L 'appel de la forêt », un ensemble d'œuvres tirées pour le plupart du fond de la collection éponyme. Présentée l'an passé à la Kunsthalle Würth (Schwäbisch Hall), l'exposition a été adaptée au site alsacien. Les quelques soixante-cinq œuvres (dessins, gravures, peintures, photos, sculptures, installations) qui en constituent le corpus sont issues de quarante-deux artistes pour la plupart contemporains et du 20ème siècle, à l'exception d'Alfred Sisley et de Carl Spitzweg. La liste est prestigieuse mais l'on découvre aussi quelques noms moins connus et qui gagnent réellement à l'être. Le parcours est riche, intelligent, foisonnant de belles surprises. L'émotion est au rendez-vous.


« L'Appel de la Forêt » est organisé en différents thèmes qui se succèdent au fil des salles. Commençant par l'arbre, métaphore de l'humain, la forêt est développée en différentes approches : lieu de contemplation, elle peut devenir aussi lieu de projection de la critique sociale, élément magnifié dans le sentiment identitaire, puis redevenir un objet autonome illustré à travers divers courants, de l'expressionnisme à l'impressionnisme, du Biedermeier au surréalisme et au fantastique.

Dés l'entrée, on prend la dimension de la puissance des travaux proposés. Le visiteur est accueilli par « Aaper Wald II » (2006) une toile de Norbert Tadeusz. Image de forêt à la fois mystérieuse et magique, l'œuvre nous donne un sésame précieux : nous entrons dans un monde complexe et sensible, où tout ce qui semble figé est en réalité chargé de symboles et s'exprime d'une voix puissante. Métaphore du cheminement qui nous attend, « Champignons » ( 1972-1973) de Lambert Maria Wintersberger, l'œuvre monumentale accrochée dans la cafétéria, et le tableau de Volker Tannert en face de l'escalier nous ouvre les portes d'un monde merveilleux, déclencheur d'imaginaire mais aussi cible de la société de consommation.

Dans la première salle, les silhouettes de Gabi Streile en écho à celles de Donald Baechler, dressent la structure d'une forêt se développant dans notre esprit. Comme des individus, petits soldats prêts pour la parade, sapins anonymes soumis à l'ultime illumination de décembre, figés dans leur posture et nos mémoires, ces icônes sacrificielles nous renvoient aussi à la notion de foule et nous interpellent dans leur nudité. La force de leur apparente simplicité nous dévoile leur solitude, personnages perdus dans une foule indifférente. A cette forêt immobile et silencieuse ne manque que le vent. Sans âme, cette humanité semble triste et solitaire.

Les travaux de Christo construisent un cheminement, une genèse. « Wrapped Tree » est une commande du Musée Würth. Entre le premier jet et la dernière production les années défilent, permettant le glissement inaudible de la maturation : la maquette originelle « Wrapped Tree » date de 1968, le dessin (« Wrapped Tree, Project for the Museum Würth »)de 1994 et l'ultime réalisation, (Wrapped Tree ») en proportions fidèles à la maquette, de 2011. Le temps est ici compressé, rendu visible dans l'espace. On sent les pauses, on réalise la profondeur de l'œuvre. La première maquette mesure 80,3 cm, le dernier arbre emballé quelques 7,30m. Ce grand charme nous est présenté allongé sur un support, tel un gisant sur son socle. Le voile d'hivernage qui l'entoure et le cache rappelle le suaire qui habille les corps. Mise en Sac ? Embaumement ? La carcasse que l'on devine sous le tissu semble en dormance, en attente de plantation. Les racines et les branches sont enveloppées, protégées des intempéries et des regards. Ce qui apparaît d'abord comme un arbre momifié porte en soi le temps du repos, c'est une image de vie à poursuivre, un symbole en attente de printemps. C'est un mystère que Christo nous donne à voir. L'ensemble est complété par un autre dessin d'arbres enveloppés, celui-ci pour la Fondation Beyeler à Riehen (Suisse).

Dans la même salle, on ne peut que s'arrêter devant le triptyque de Robert Longo, réalisé spécialement pour l'exposition. « Sans titre (Fairmount Forest) »(2011) est un tableau d'un hyperréalisme saisissant réalisé au fusain et à la gomme. Il faut s'en approcher pour apprécier pleinement l'époustouflante gamme de gris qui le compose.

Dans la deuxièmes salle «The Road to Thwing, Late Spring » (2000) de David Hockney fait face à deux toiles de Lester Campa. A travers « Ceiba » (2005, acrylique sur toile) l'artiste cubain dresse une critique radicale de l'homme qui déforeste et déshumanise la planète. Ce monde sans arbres est un monde sans vie. Ils sont accompagnés par les arbres monumentaux, d’Alex Katz « Meadows 2 » (2007) et « Sans titre » (2001-2004) d’Herbert Brandl, emplissant l’espace, fermant le paysage, jouant à la fois sur la limitation du regard et la protection du couvert. Le végétal clôture le monde et induit l’ébauche de l’habitat.

On retrouve la même interrogation des rapports entre l'homme conquérant et la nature dans la première salle de l'étage. Les trois dyptiques de Ben Willikens (« Raum 738, Raum 739, Raum 741, Waldeslust und Vanitas », 2011).sont issus de la troisième commande de la collection Wûrth figurant dans l'exposition. Chacun d'entre-eux juxtapose une photographie et son interprétation graphique. Eclairages blafards, vestiges de constructions, les scènes représentées montrent l'humain uniquement au travers de ses traces : béton, détritus, nature réduite. Les arbres qui y apparaissent semblent évoquer tantôt la solitude du végétal dans un univers cimenté, tantôt la lente marche en avant de la nature qui reprend ses droits. Cet univers froid et inhabité, que l’on retrouve dans “Passage, Leipzig” (1990) de Gerhard Richter, évoque les déserts urbains post-catastrophiques.

La deuxième salle évoque un épisode héroïque de la fin de la seconde guerre mondiale, la bataille de Seelow. A travers une série de 6 tableaux, Markus Lüpertz parle de la guerre sans jamais la représenter autrement que par des détails : arbres abîmés, campagne vide, casque; La seule allusion directe se trouve dans les cadres des tableaux qui sont peints en couleurs de camouflage. Par cette série, l'artiste aborde les grands thèmes de l'identité nationale, la forêt y tient une place essentielle.

Les grands noms allemands sont très présents à l’étage, qu’ils soient contemporains comme Georg Baselitz, Günter Grass, Rainer Fetting, issus de la Sécession berlinoise comme Max Liebermann ou Lovis Corinth, rattachés à l’expressionniste comme Ernst Ludwig Kirchner, Max Beckmann ou Hermann Scherer et sa très riche, éblouissante palette fauve qui explose littéralement dans »Paysage de Montagne en Tessin » (1924).

Face à eux les tableaux impressionnistes  peints sur le motif de Camille Pissaro, Alfred Sisley ou André Derain, mais aussi d’Alexander Rothaug et sa forêt idyllique « Heiliger Frühling » sont autant de contrepoints qui ouvrent sur une perspective élargie dans l’espace et le temps.

Les dernières salles sont consacrées au surréalisme avec Max Ernst et un très bel ensemble de 22 phototypes, puis au fantastique avec « Isle of Man I et III » (2003) deux installations de Richard Deacon et Bill Woodrow. Enfin, en redescendant par l’escalier on ne peut qu’apprécier l’œuvre saisissante de Volker Tannert « Pourquoi acheter de nouveaux meubles alors qu’on n’a pas encore brûlé les anciens »(1983) qui dénonce de facto la société de consommation et ses excès, en particulier la déforestation.

En écho au remarquable parc, Trophée de l'Arbre d'Or 2000, situé derrière le bâtiment, à travers un bruissement d’arbres et d’art, le Musée Würth montre une fois de plus sa capacité à rassembler des œuvres de valeur et sa compétence à les présenter dans un parcours éclairé.
La forêt, espace, paysage, symbole, lieu de luttes et de projections, décor mouvant, parfois insaisissable, a pris dans l’art une place particulière. A la fois motif et milieu fantasmé, sujet et objet, support et symptôme d’un malaise sociétal, elle apparaît comme une source d’inspiration inépuisable, qui va de l'ancrage au renouveau. Par cette exposition, dont il faut saluer la belle densité, le Musée Würth nous emmène dans un cheminement où le foisonnement des œuvres et la multiplicité des propositions constituent autant d’indicateurs et de jalons bien posés, sans jamais conduire à l’égarement. On termine sa visite en se disant qu’il faudra y revenir une seconde fois, après un nécessaire temps de décantation, comme on procède avec un vin de grand cru, lorsque la bouteille a été remuée.

vendredi 9 novembre 2012

Les canetons flottants

Vu dans un bassin à amsterdam, le soir : la mère et ses petits, alignés comme à la parade, mais c'est pour dormir... Les traits jaunes correspondent au reflet d'une enseigne lumineuse.

En vitesse...

De passage à Amsterdam, peu de temps mais envie de casser une petite graine et de se poser pour boire un thé. Notre choix du jour De Roode Leeuw sur Damrak, une brasserie sympa près de la gare.


Bon, le résultat n'est évidemment pas exceptionnel... Mais on remarquera tout de même la concision des petits dessins. Le thé est bio, ce qui ne gâche rien.
Un peu plus tard, à l'aéroport, on a trouvé une bière dont la marque était "Asahi". Jusqu'à maintenant Asahi correspondait à une dénomination de Gyokuro "Asahi, Perle de Rosée"... Visiblement le monde de la brasserie ne recule devant aucun sacrifice !

dimanche 4 novembre 2012

Petit matin pluvieux...

 
Petit matin pluvieux, les nuages sont accrochés à la montagne qui prend des allures d'encre chinoise, ou de bain turc, on a de la buée plein les yeux...

jeudi 1 novembre 2012

Deux jours plus tard...

Deux jours plus tard, un coup de froid la nuit et les feuilles sont passées du jaune au brun, avec le soleil qui se lève tout prend une teinte orangée. Seuls les arbres ont gardé un peu de vert.



lundi 29 octobre 2012

Première neige...

Taches blanches sur paysage d'or
Les sapins jouent avec la première neige
Quand la vigne est jaune encore


La dentelle des cîmes sombres
Blanchies sous le gel matinal
 


dimanche 28 octobre 2012

Le thé sur France Culture

Dans le cadre de l'exposition du Musée Guimet, France Culture a diffusé une émission de la série "Le Salon Noir" de Vincent Charpentier que l'on peut retrouver sur le net. L'invité est Jean-Paul Desroches...
Pour réécouter l'émission copier le lien suivant dans votre barre d'adresse

http://www.franceculture.fr/emission-le-salon-noir-archeologie-du-the-2012-10-03

lundi 22 octobre 2012

L'appel de la forêt

Le Musée Würth Erstein France
présente jusqu'au 19 mai prochain
 "L'Appel de la Forêt"
une expo  qui vaut carrément le détour, tant par la justesse du propos que par la diversité et la richesse des oeuvres exposées.

Un article plus fouillé suivra très rapidement...

Un petit coin de jardin...

Un petit coin de jardin...

pour prendre le thé...

vendredi 19 octobre 2012

Les couleurs de l'automne arrivent

Echarpe de brume matinale
Les vignes prennent des couleurs
En jouant de la géométrie
Des lignes et des parcelles
Dans un paysage renouvelé
Qui fleure la châtaigne
Et le vin nouveau




4 artistes japonais à Colmar

Le Centre Européen d'Etudes Japonaises d'Alsace 
présente les oeuvres de quatre artistes japonaises.
"Calligraphies et Encres Flottantes - Sodô Suminagashi"
sera visible les 27 et 28 octobre prochains au Corps de Garde à Colmar.

Vernissage de l'exposition le vendredi 26 octobre à 18 heures.

L'incendie du ciel...

Un matin...
Lever de soleil...
Embrasement...
On en prend plein les yeux et ça change tout le temps
Cela se passe simplement de commentaires...


 

dimanche 14 octobre 2012

Guide des thés du Japon

Enfin un bon livre sur les thés du Japon !
Valérie DOUNIAUX
a publié
Le guide des thés du Japon
 (Félix Torres éditeur)
En quelques 225 pages, l'auteur nous dresse un panorama complet du thé du Japon, de la production à la dégustation, en passant par l'histoire et les effets du thé sur la santé. Débordant du cadre strict du sujet, Valérie Douniaux glisse dans son texte quelques parenthèses sur la manière d'aborder la culture du Japon et nous donne quelques clefs de compréhension d'un univers où le thé occupe une place particulière, bien qu'étant totalement intégré au quotidien. A se procurer sans délai...

mercredi 10 octobre 2012

Une expo sur le thé !

Le Musée Guimet (Paris) propose une expo et des animations sur le thème du thé. Le lieu est superbe, les collections sont exceptionnelles et on peu même y goûter le divin breuvage dans le pavillon de thé...

Plus d'infos en suivant ce lien http://www.guimet.fr/fr/expositions/expositions-a-venir/le-the-a-guimet-histoire-dune-boisson-millenaire

La petite tasse jaune sur l'affiche est d'origine chinoise. Je vous donne un petit aperçu d'autres petits bijoux vus au musée Guimet.

Comment ne pas craquer ?
Un billet suivra avec un petit reportage photo...

vendredi 25 mai 2012

Xénia Hauser : flagrant délit, d'initié

Une remarquable expo présentée par le
Musée Würth Erstein :
 "Flagrants Délits"
 nous fait découvrir une artiste contemproraine
Xenia HAUSNER

Xénia Hausner : flagrant délit, d’initié.


Pour sa huitième exposition, le Musée Würth à Erstein nous présente une artiste autrichienne peu connue en France : Xenia Hausner. L’exposition, baptisée « Flagrant délit », du titre de l’un des tableaux, est riche de quelques trente-six œuvres de grand format complétées par vingt-deux photographies permettant de les appréhender sous un autre angle. On est frappé d’emblée par la richesse de la palette de l’artiste, l’expressivité des sujets, mais très vite le regard explore et la deuxième lecture suggère le questionnement. La peinture de Xenia Hausner intrigue et on est vite pris dans un jeu permanent de construction et de déconstruction du sens.

« Flagrant délit » constitue la première exposition monographique de l’artiste en France. Les œuvres exposées sont issues de la fondation Würth et de collections privées. Xenia Hausner, née en 1951, vit entre Vienne et Berlin. Fille de Rudolf Hausner, l’une des figures de proue du réalisme fantastique et de l’école de Vienne, elle consacre d’abord vingt ans de sa vie à la mise en scène au théâtre. Elle garde de cette période le goût de l’organisation de l’espace et du placement des éléments les uns par rapport aux autres. La peinture occupe sa vie à partir de 1992, mais il faudra attendre 1996, un an après la mort de son père, pour assister à sa première exposition.

Xenia Hausner travaille à l’acrylique sur divers supports (papier, isorel, plaques d’aluminium), utilise fréquemment la photographie (argentique et numérique), y ajoute des éléments de bois et de papier, les combinant en technique mixte. Les formats de grande taille sont accrochés bas, de manière à ce que les spectateurs se trouvent en vis-à-vis des personnages des tableaux, en dialogue avec eux. A l’étage, l’un des salles présente « Damage » un ensemble d’œuvres présentées en 2011 à l’Art Museum de Shanghai. Souvent le tableau dépasse du cadre de départ fixé par l’artiste qui en repousse ainsi les limites au gré de ses besoins. Pour elle, chaque œuvre est une aventure dont elle ne sait jamais à-priori exactement où elle va la mener.

Le travail de Xenia Hausner s’organise en trois temps. Tout d’abord elle se nourrit d’une foule d’éléments qu’elle amasse au cours de ses voyages et de ses rencontres : photographies, objets divers, échanges et souvenirs. Le deuxième temps est celui de l’atelier où elle photographie ses modèles, essentiellement des femmes, en leur demandant de prendre des poses précises et d’intégrer un décor organisé dans une véritable scénographie. Ces photographies servent ensuite de modèles partiels pour la peinture ou constituent en eux-mêmes des supports qu’elle retravaille à la couleur. Au cours de la mise en place du tableau il lui arrive de mélanger des éléments issus de plusieurs photographies. Certains éléments sont récurrents et reviennent dans plusieurs œuvres. La démarche d’assemblage suit un processus de construction-déconstruction-reconstruction qui, à travers ces mélanges, brouille les pistes et construit du sens à plusieurs niveaux. Elle intègre souvent dans son travail des citations d’autres artistes. On découvre ainsi des références explicites à Franz West (« Aluskulpture »), Jeff Koons (« One Ball Total Equilibrium Tank »), Damien Hirst (« Spot Painting »), Richard Artschwager (« Point d’Exclamation ») ou encore d’autres, plus diffuses. Pour compléter la complexité de la lecture, les titres ne constituent jamais une description ni une illustration de l’œuvre, mais un indice déroutant supplémentaire, relation biaisée ou clin d’œil humoristique, titre de film, d’émission télévisée ou d’air de musique, évènement social : « Rosemaries Baby », « Barcarole », « Hôtel Shanghai », « Nine Eleven », « Blind Date ». L’artiste ne donne pas de clé de lecture, c’est au spectateur d’imaginer et de concevoir la sienne.

Nous sommes face à des portraits, dans des représentations qui s’affranchissent de la couleur et de la forme. La palette a la richesse des tableaux des fauves et l’observation souligne continuellement le décalage de la couleur avec le réel. Les tons sont contrastés, la couleur a parfois un aspect passé puis devient saturée. C’est un régal pour les yeux. Le trait est tantôt puissant, tantôt précis. La retouche sur la photographie est réalisée avec une finesse qui la rend parfois difficile à déceler.

Deux tableaux sont en relation directe avec la mort de son père : « Voyage d’Hiver » et « Mort dans l’Amour ». Cependant, là aussi, elle a demandé à des acteurs de jouer les rôles des personnages. L’organisation de l’espace et des meubles est pensée comme une véritable mise en scène. Il ne s’agit donc pas d’une copie du réel mais d’une reconstruction à partir d’un évènement, rejoué et réorganisé par l’artiste. Même s’il s’agit là d’un évènement personnel, elle ne lui donne pas pour autant une dimension autobiographique.

Dans chaque tableau on retrouve deux ou trois femmes, rarement un homme. Xenia Hausner exprime une ambivalence permanente liée aux ambiances qu’elle créé, aux relations qu’elle sous-entend entre les personnages, aux tensions et fils invisibles qui les lient et les attachent, même si on est ici en dehors du champ du récit. La plupart de ces personnages nous regardent de leurs yeux sans pupilles. Leurs visages ne sont jamais neutres mais puissamment expressifs. Ces regards nous interpellent et nous placent dans une situation qui fait glisser notre statut de spectateur à celui de voyeur. Il se dégage de l’ensemble un érotisme homosexuel qui affleure en permanence, souvent suggéré mais exprimé une seule fois dans « Fièvre ».

Elle se sert de la mise en abîme comme d’un artifice de dialogue. Dans « You and I », le spectateur regarde un tableau qui a été conçu à partir d’une photographie : son regard devient celui de l’artiste. Ce tableau représente une femme de face qui en filme une autre. Le va-et-vient est constant entre photographe et photographié, le spectateur passant d’un rôle à l’autre comme s’il était face à un miroir.

Deux ensembles de photographies, essentiellement en noir et blanc, montrent les modèles à l’atelier et permettent de suivre le cheminement créatif jusqu’au tableau. On y reconnaît tel sujet, telle pose ou élément de décor. Du coup, elle ajoute une couche supplémentaire à l’empilement des sens.

Xenia Hausner induit en permanence un jeu d’identification dans lequel elle brouille les pistes en mêlant le réel et la fiction, en ajoutant des citations à son travail, en plaçant le spectateur en situation de voyeur-acteur, en tissant subtilement les fils d’une mise en abîme qui nous pousse à décaler nos repères. Au-delà d’un formidable jeu de couleur, de l’expressivité de ses portraits, elle construit les éléments d’une fiction non-narrative dans laquelle chacun peut se projeter. Elle superpose les strates signifiantes tout en les emmêlant, dans une mise en perspective et des rebonds qui rappellent les galeries de glaces renvoyant l’image à l’infini. Jusqu’au vertige. C’est superbe.

dimanche 1 avril 2012

Pierre Bonnard chez Beyeler

Mon peintre préféré...
Pierre Bonnard.
L'exposition à la
Fondation Beyeler de Riehen
ne pouvait que me ravir...

Voici le texte de mon article paru dans Transversalles d'avril 2012.

Bonnard l’incandescent


La fondation Beyeler propose jusqu’au 13 mai prochain une exposition qui fera date : Pierre Bonnard. Contemporain de l'impressionnisme, du fauvisme, du cubisme, du surréalisme et de la naissance des abstractions sans pour autant jamais se raccrocher à l'un de ces courants, Pierre Bonnard pourrait être vu comme un magicien de la couleur, mais ce regard serait trop réducteur. Cette exposition, riche de plus de soixante toiles, nous permet d'entrer dans un univers flamboyant et de comprendre un artiste qui évoluait par ses jeux chromatiques, au-delà des frontières des contraintes et des conventions.


Bien que figurant dans de nombreuses collections privées et publiques, les travaux de Pierre Bonnard n’apparaissent que trop récemment dans de grandes expositions. On se souvient du brillant hommage que lui avait rendu la fondation Giannada à Martigny en 1999, celui du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 2006, de la présentation récente (2011) de la collection Hahnloser au Musée de l’Ermitage de Lausanne. La ville du Cannet a par ailleurs inauguré en 2011 un musée qui lui est consacré. L’exposition de la Fondation Beyeler s’inscrit dans cette ligne, soulignant et renforçant une notoriété que le peintre mérite.

Né en 1867 à Fontenay-aux Roses, près de Paris, Pierre Bonnard se destine d’abord au droit, mais deux ans après avoir passé son bac, il se tourne vers les arts et entre à l’Académie Julian, où il rencontre Paul Sérusier et Maurice Denis. Avec ceux-ci, puis Edouard Vuillard plus tard, il fonde en 1888 le groupe des Nabis (littéralement les prophètes en hébreu), suite au questionnement induit par Le Talisman, un tableau de Paul Gauguin. On dénomma Bonnard le nabi très japonard, en raison de son goût pour les estampes japonaises, dont on retrouvera l’influence par la suite, entre autres dans l’usage des surfaces colorées et de la simplification de la perspective. Le groupe se dissoudra vers 1900 mais aura préfiguré le questionnement de l’art Nouveau.
En 1893 il rencontre Marthe, qu’il épousera en 1925 et qui l’accompagnera durant toute sa vie. S’appelant en réalité Maria Boursin, Marthe figurera dans plus de 380 tableaux. Le mariage avec Marthe provoqua le suicide de Renée Monchaty, autre muse et maîtresse du peintre depuis 1918, mettant ainsi un terme à un ménage à trois qui se situait loin des conventions sociales de l’époque.

En 1912 il fait l’acquisition de « Ma Roulotte », une maison située à Vernon, non loin de Giverny, où il allait souvent voir Claude Monet. Vernon, dont il aimait dessiner et peindre les bords de Seine et la campagne alentour, fut l’un de ses grands lieux d’attache jusqu’en 1939. En 1927, il achète la villa « Le Bosquet » au Cannet sur la Côte d’Azur. Il y vivra jusqu’à sa mort en 1947. Travailleur inlassable, Bonnard remplissait ses carnets d’innombrables croquis et annotations, réflexions sur l’art et la peinture. Toutes ses toiles étaient travaillées à l’atelier durant des mois, voire des années, reprises et retouchées jusqu’à ce que le peintre atteigne la juste expression de sa pensée.

L’exposition de la Fondation Beyeler est organisée en plusieurs thèmes : la rue, la salle à manger, la salle de bains, le miroir, le jeu entre l’intérieur et l’extérieur, le jardin. Conçue comme une maison imaginaire de l’artiste, l’exposition invite le visiteur à découvrir des espaces mais aussi la vision qu’en avait le peintre.
Le thème de la rue est constitué de toiles de la première époque et représente l’animation des croisements parisiens. La palette y est encore dominée par les couleurs froides : bleu et gris de l’ambiance urbaine.
La salle à manger est le thème de la deuxième salle. Espace de vie et de circulation, la salle à manger donne l’occasion à Bonnard d’observer ceux qui l’entourent et de les croquer à travers les petits détails de la vie quotidienne. On y perçoit fréquemment une touche d’humeur et l’organisation de petites scènes imbriquées induisant l’illusion du récit.
Le nu est omniprésent dans la troisième salle, dont le thème est la salle de bain. Que ce soit à travers L’Homme et la Femme (1900) ou encore la longue liste des nus et des bains de Marthe, on ne peut qu’être séduit par le jeu des reflets et des couleurs, la complexité et les audaces de l’organisation chromatique, les ambiances qui s’en dégagent. Marthe, dont on reconnaît toujours la cambrure excessive, y apparaît, curieusement, souvent chaussée.

Pierre Bonnard faisait fréquemment usage de miroirs, que ce soit comme élément de ses toiles ou comme support à ses autoportraits. La quatrième salle est organisée autour de ce thème. Agrandissant l’espace pictural et en même temps le remettant en question, le miroir sert aussi d’artifice. Il permet au peintre de jouer avec les plans en les imbriquant les uns dans les autres, ou de faire disparaître un élément que l’on s’attend à découvrir. Ces audaces peuvent dérouter le spectateur mais s’inscrivent dans la droite ligne de l’affranchissement des contraintes chère à l’artiste.

Les rapports entre extérieur et intérieur constituent le thème de la cinquième salle. La fenêtre est un élément récurrent dans nombre de toiles. Lien entre le dedans et le dehors, la fenêtre permet de montrer les deux sur un même plan tout en définissant leurs limites et leur rencontre. L’invitation à voir le jardin tout en étant dans la maison évolue vers « être dehors tout en étant dedans ». Ce thème illustre la richesse de la vie intérieure du peintre, tout en illustrant ses combats intimes et ses déchirements.

Son interrogation sur la lumière, la couleur et l’espace est constante et traverse son œuvre comme un fil conducteur. C’est cette question qui est au cœur du travail de Bonnard, lequel s’affranchit des conventions et des courants, traçant son sillon, solitaire et inspiré. L'intensité chromatique ne baisse jamais, témoignant d'une constante quête de liberté. Bien au contraire, si l’on met en perspective les tableaux des scènes de rues parisiennes du début et ceux d’après 1915, on est frappé par l’illumination de la palette et l’éblouissement permanent des couleurs. Les sujets se fondent dans leur environnement comme s’ils s’y consumaient tranquillement mais ardemment. C’est le regard du spectateur qui doit faire la part des choses et discerner les personnages noyés dans le feu de la palette. L’apparente tranquillité de Pierre Bonnard, sa vie à l’écart de l’agitation et de laideur du monde, sa quasi réclusion dans sa villa Le Bosquet cachent la réalité d’un homme au bouillonnement intense, habité par ses questions et ses créations. Et plus il se détache du monde, plus ses scènes interrogent l’intime, plus sa palette évoque la couleur de la lave, comme une expression du brasier qui l’habite.
L’exposition de Riehen rend hommage à un artiste dont la notoriété et l’importance sont tardives. A travers sa vision du monde, de son monde, l’infatigable coloriste dépasse la simple limite de la représentation. Ses interrogations et l’exploration continuelle de ses thèmes et de sa palette en font un artiste de premier plan. La Fondation Beyeler lui redonne la place d’importance qu’il mérite, l’exposition parle d’elle-même.