vendredi 15 octobre 2010

Reportage sur le thé

Avis à tous les amateurs de thé, France 5 difusera le dimanche 17 octobre à 14 h 44 un documentaire de 52 minutes sur notre boisson favorite.

Cependant il est d'ores et déjà visible en cliquant sur le lien suivant

http://documentaires.france5.fr/documentaires/global-drinks/pour-tous

mardi 12 octobre 2010

Pierre Gaucher, le fer parlant

Si vous passez dans le Kochersberg, arrêtez vous devant "La caravane passe" de Michel Dejean (Stutzheim Offenheim) et ne loupez pas "La culture de l'oubli" de Pierre Gaucher (Médiathèque de Truchtersheim).
Cet article paraîtra dans le prochain numéro de Transversalles (15 octobre - 15 novembre)


La culture de l’oubli

Dans le cadre de sa Route de l’Art Contemporain, le Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines a inauguré en septembre dernier à Truchtersheim sa trente-troisième œuvre installée dans le domaine public. « La culture de l’oubli » de Pierre Gaucher est une sculpture métallique installée dans l’accès principal de la médiathèque, à la manière d’un paravent découpé, d’une grille de lettres et de mots, offerte à la vue, mais aussi à la lecture des passants. Depuis vingt-deux ans, le CEAAC sème et installe en Alsace des œuvres d’art contemporain, en secteur urbain ou en milieu rural, dans des lieux emblématiques mais aussi en d’autres plus retirés, plus discrets. On connaît bien sûr la « Ligne Indéterminée », sculpture monumentale de Bernard Venet à Strasbourg, place de Bordeaux, mais sans doute un peu moins « Sequoia Mirabilis » de Patrick Meyer (Niederbronn), Aqua de Katsuhito Nishikawa (Parc de Wesserling), « Trois Vitraux », de Lothar Quinte et Sibylle Wagner dans la chapelle de Champenay, ou d’autres encore disséminées dans les deux départements, posées comme autant de sentinelles, de bornes dessinant le chemin et traçant une trame invisible. C’est un travail de patience et de longue haleine qu’a initié le CEAAC, et ce qui était au départ un acte militant s’est petit à petit imposé jusqu’à devenir cette quasi-évidence de la présence d’œuvres d’art dans le paysage urbain et rural. Et cette dynamique s’étend : pour preuve la création toute récente de la Route de l’Art dans le Kochersberg, née d’une volonté de marquer le développement de la culture dans ce pays de traditions.
Les habitants du Kochersberg connaissent la sculpture de Michel Dejean « La caravane passe » visible à Stutzheim-Offenheim au bord de la route, mais lorsqu’ils se rendront à la médiathèque de Truchtersheim, ils passeront dorénavant devant, et à travers, l’œuvre de Pierre Gaucher « La culture de l’oubli ». Le C.E.A.A.C. avait déjà décerné à cet artiste le prix du Conseil Général du Haut-Rhin en 1996. Découpée en deux panneaux séparés, cette œuvre est constituée par un assemblage de lettres en métal épais soudées entre elles, sans intervalles et sans ponctuation. L’ensemble est organisé en deux parties non alignées, de chaque côté d’un large couloir extérieur couvert menant à la médiathèque. La séparation entre les deux panneaux de texte ne tient pas compte des débuts et fins de mots, les lignes ne sont pas nécessairement complètes. L’œuvre est intégrée dans le bâtiment, dans une parfaite complémentarité, dans une proximité aussi qui nous la rend plus sensible et plus accessible.
En se dédouanant d’une partie des contraintes de l’écriture, Pierre Gaucher nous permet à la fois d’être dans le texte et de sortir de ses conventions. Etant visible par ses deux côtés, l’une des faces apparaît comme une langue étrangère, une sorte de charabia à première vue incompréhensible. La sculpture nécessite un effort : il faut s’arrêter et lire avec attention pour en comprendre le fonctionnement et le sens. Les constructions des alentours sont visibles à travers les interstices et de ce fait, l’œuvre est, d’une certaine manière, inscrite dans le paysage. A l’inverse, lorsqu’on lit le texte, c’est le paysage qui s’inscrit dans l’œuvre, créant par là une forme de va-et-vient, un dialogue permanent avec l’environnement. A la manière d’une porte symbolique et initiatique, cette trace écrite de taille humaine accueille le visiteur et le lecteur venant à la médiathèque : des lettres alignées comme des livres sur des rayonnages. Comme un signal, comme un signe, comme un symbole, cette œuvre va bien au-delà de la fonction décorative. Elle parle d’elle-même, les mots disent tout, mais sans gravité ni lourdeur, invitant à la réflexion autant qu’à la lecture. La culture de l’essentiel est une invitation à réfléchir sur l’essentiel et l’inutile qui remplit la vie, un questionnement sur la trace laissée par une existence.
Une exposition d’autres œuvres de Pierre Gaucher est visible à la médiathèque, permettant de mieux appréhender les différentes facettes du travail de l’artiste. Pièces droites monumentales, tabourets ou cylindres, on pourra également apprécier le travail d’écriture sur des tôles par martelage.

Texte de l’œuvre de Pierre Gaucher

« Tout ce qu’on dit, tout ce qu’on écrit n’a finalement aucune importance, nous ne faisons tout simplement que lutter contre l’effacement car nous ne pouvons pas admettre que le combat soit perdu d’avance, nous cultivons ainsi une compréhension du monde pour faire joli et qui nous empêche de voir le vide infini de notre connaissance, en fait toute notre culture est une culture de l’oubli : nous apprenons à nous souvenir de mille choses inutiles pour mieux oublier l’essentiel. »

Le bambou à la goutte

Magie de la goutte d'eau accrochée à la feuille du bambou,
irréellement suspendue,
reflétant l'environnement comme un miroir,
se jouant de la pesanteur comme du ciel qu'elle retourne.

Joan Miro chez Burda

Mon dernier article à paraître dans Transversalles (15 octobre au 15 novembre).
L'expo Miro est superbe et très pédagogique. L'audioguide est conseillé pour mieux entrer dans l'univers du peintre et pour comprendre une peinture qui, si elle semble simple en apparence, peut vite être perçue comme hermétique au néophyte.

Les couleurs de la poésie

Le Musée Frieder Burda à Baden Baden présente, et ce jusqu’à la mi-novembre encore, une splendide rétrospective sur le travail du peintre espagnol Joan Miró. Une centaine d’œuvres, peintures, sculptures et céramiques, provenant de collections publiques et privées ont été ici réunies, permettant au spectateur d’appréhender la production d’un artiste culte du vingtième siècle, reconnaissable au premier coup d’œil, mais souvent mal connu cependant. Une occasion remarquable d’embrasser du regard et en une visite quelques six décennies de création. Né en 1893 à Barcelone, Joan Miró est destiné par sa famille à suivre des études de commerce. Cependant, dés sa quatorzième année, le jeune homme s’inscrit aux cours d’une école de beaux arts et c’est à partir de 1911 que ses parents acceptent la volonté de leur fils de se consacrer à l’art. Très influencé par les impressionnistes, Cézanne, les Fauves et les symbolistes, il découvre Picasso au travers des décors des Ballets russes de Diaghilev à Barcelone en 1917. Sa première exposition se tiendra l’année suivante à la galerie Dalmau. Celle-ci est très mal accueillie par le public mais partiellement soutenue par le presse. En 1920 il part pour Paris est touché en plein par le dadaïsme et le cubisme. Il fait la connaissance d’Antonin Artaud, Georges Bataille et d’autres encore et se dégage doucement des conventions picturales. Il participe en 1925 à une exposition à la galerie Pierre (Paris) avec Giorgio de Chirico, Max Ernst, Paul Klee, Man Ray, André Masson et Picasso. Il fait partie du groupe des surréalistes, mais s’en détachera plus tard. En 1937, suite au bombardement de Guernica, il créé un timbre qui sera aussi tiré en affiche. Il est également retenu pour réaliser une peinture pour le pavillon de l’Espagne républicaine à l’Exposition Universelle de Paris.
La première grande rétrospective consacrée à Miró est organisée à New York au Museum of Modern Art fin 1941. Elle obtient un très vif succès et aura une influence marquée sur les peintres américains. Cette rétrospective lui apportera le rayonnement qu’il méritait et le propulse sur la scène artistique internationale. Miró commence ses premières sculptures en 1944 avec le céramiste Josep Llorens Artigas. Il expose à la galerie Maeght en 1948, année qui marquera son retour et sa reconnaissance par les milieux parisiens. Il s’installe en 1956 à Palma de Majorque ou il fait construire son atelier. Les rétrospectives se suivent New york 1959, Paris 1962, Londres 1964, Madrid 1978... La première fondation Miró est ouverte en 1975 à Barcelone (une autre sera inaugurée à Palma de Majorque en 1992). Joan Miró meurt le 25 décembre 1983 à Majorque.
L’exposition est le fruit d’une formidable réunion de tableaux, sculptures et céramiques, issus de grandes collections publiques mais aussi du fonds privé de la famille de Miró. Le parcours est clair, bien structuré, et le bâtiment conçu par l’architecte Richard Meier se prête merveilleusement à cette peinture du soleil, à travers l’importance des surfaces vitrées orientées au sud. La force et la vibration de la couleur s’en trouvent renforcées, soulignant à l’envie la dimension poétique du travail de l’artiste catalan. Des premières toiles datant d’avant 1920 aux dernières sculptures de 1982, l’exposition suit une organisation chronologique. Le cheminement est naturel et la visite se déroule comme une promenade dans l’univers coloré du peintre. Dans ses toiles réalisées de 1924 à 1927, on est frappé par l’importance des champs de couleur, sur lesquels sont parsemés des signes intrigants, à la manière d’une partition sans portée. Correspondant à la période surréaliste, tant dans l’approche esthétique que dans les techniques utilisées pour les réaliser (automatismes, exploitation des rêves) elles annoncent déjà la suite de l’œuvre. L’artiste n’aura de cesse d’organiser ces éléments primordiaux dans un univers en construction permanente, confrontant sans relâche la réalité à sa sensibilité et son imagination
Miró aimait à observer les choses simples, les éléments de la nature mais aussi les objets du quotidien. Leur observation s’apparente chez lui quasiment à une méditation de travail. L’artiste cherchait la vie dans toute chose et l’immobilité déclenchait chez lui une formidable mise en mouvement, un élan créateur d’une rare densité. La photographie le montrant assis dans le jardin zen du temple Ryoan-ji de Kyoto, en 1966, est à cet effet assez significative. Laisser tomber le superflu, se dépouiller de l’inutile pour ne garder que l’essentiel.

Voilà ce qui pourrait constituer la trame de l’œuvre. Pas de surcharge, aller vers le dépouillement pour mieux dire. On comprend pourquoi Miró était aussi appelé le peintre de la poésie. On peut par ailleurs trouver l’influence de la calligraphie extrême orientale dans son œuvre, en particulier dans les signes dont il parsème ses toiles, et qui forment autant d’idéogrammes symboliques et secrets. Parmi toutes les toiles exposées, plusieurs d’entre elles pourraient émerger et constituer des repères, à la manière de balises de repérage. « L’espoir du condamné à mort » (1974) nous semble être l’une des plus marquantes. L’engagement politique, le refus de la barbarie sont au cœur de ce triptyque qui fait suite à l’exécution le 2 mars 1974 d’un étudiant anarchiste Salvador Puig Antich. La puissance synthétique de ces trois tableaux est absolument saisissante. A travers une économie de moyens, un trait noir, une tache de couleur variant à chaque tableau, l’artiste illustre de manière expressive et symbolique la force dramatique de la condamnation, de l’injustice et de la révolte.
La céramique et la sculpture sont bien représentées dans l’exposition. C’est principalement avec le céramiste Josep Llorens Artigas que le Miró travailla. La production de vases et terres cuites est évoquée dans une salle du premier étage. Les sculptures sont réparties au gré des salles, la plus remarquable étant à notre sens « La déesse de la mer » (1968) qui fut immergée au large de Juan-les-Pins en 1972.
L’exposition présentée au musée Burda permet de découvrir et d’approfondir l’œuvre d’un artiste singulier, qui n’eut de cesse de développer son langage propre, transcrivant sous différentes formes son expression poétique. A la croisée des grands courants artistiques, il reste aujourd’hui l’un des maîtres incontestés de l’art du vingtième siècle.

Aube violacée

Petit matin brumeux, aube violacée

Nul besoin de commentaires...



Feydeau toujours actuel...

Voici le texte de mon prochain article à paraître dans le prochain numéro de Transversalles.
Feydeau aux Tanzmatten

Le BoulevArt Théâtre a présenté début octobre aux Tanzmatten de Sélestat deux petites pièces de Georges Feydeau, écrites en 1911 : « Léonie est en avance » et « Mais n’te promène donc pas toute nue », dans une mise en scène signée Daniel Chambet-Ithier. Deux courtes comédies où le drôle et le cocasse laissent appararaître avec brio une critique en règle des mœurs de leurs temps. Dans une scène épurée ou les éléments de décor sont réduits à l’essentiel, les six comédiens nous régalent d’un théâtre à l’apparence facile, mais en réalité complexe et exigeant.

Les deux pièces sont l’aboutissement d’une résidence partagée entre le PréO d’Oberhausbergen, l’Espace Scène de l’Agence Culturelle d’Alsace et les Tanzmatten de Sélestat.
« Léonie est en avance » nous emporte d’emblée dans un intérieur bourgeois. Madame Léonie est enceinte et sent venir les prémisses d’un accouchement prématuré. Les douleurs reviennent à intervalles réguliers et sont pour elle prétexte à des échanges tendus avec son mari benêt qui lui, aimerait prendre son dîner. Entre le bébé long à venir et les macaronis qui ne passent pas, le dialogue multiplie les effets de tiroir. L’accouchement est encore une affaire purement féminine dont les hommes sont strictement exclus, et ce n’est pas la présence de la sage-femme qui va arranger les choses. Bien sûr, voilà qu’arrivent les parents de la future mère, ce qui n’arrange pas les affaires du pauvre mari, ridicule à souhait, contraint de se soumettre à toutes les exigences et fantaisies de son épouse, allant même, sous la pression collective, à se coiffer d’un ridicule pot de chambre. Ici, on ne sait si le caprice est plus fort que l’intolérance, dans un jeu de dupes qui, finalement, ne voit que des perdants, le fruit de l’accouchement apportant sa propre part de surprise.
Derrière le paravent du discours de la décence, « Mais n’te promène donc pas toute nue » nous emmène dans un autre intérieur bourgeois. Clarisse, femme de député, excentrique, un brin exhibitionniste et follement provocatrice, est opposée à son mari, qui souhaiterait que les tenues de son épouse soient mesurées à l’aune de ses propres ambitions politiques. Pour compliquer les choses dans ce huis-clos tendu, Feydeau y a ajouté Victor, valet curieux et voyeur, toujours là où il ne faut pas, enfin selon. La grande affaire, c’est que l’appartement est situé face aux fenêtres de Clémenceau et que celui-ci n’attend qu’une occasion pour faire chuter celui qui s’imagine déjà en ministre. Alors, lorsque Clarisse entend porter des tenues légères chez elle, apparaît nécessairement le conflit d’intérêts, surtout lorsque s’ajoutent à l’affaire un second homme politique sans scrupules et un journaliste très curieux. Le jeu de la mauvaise foi entraîne les protagonistes dans des échanges où s’opposent le besoin d’émancipation et la rigueur des mœurs, la quête de la liberté au poids des préjugés et de l’ambition. Dans tous les cas de figure, la vérité est toujours aménagée en fonction des besoins, le moralisateur l’arrangeant en justification de ses actes. Le compromis n’est jamais loin de la compromission. Au passage, Feydeau égratigne le pouvoir politique, s’interrogeant sur l’utilité de la présence des députés à la Chambre, et au-delà sur celle des maris dans leur chambre (conjugale).
Dans les deux pièces, la peinture des mœurs convenues cachent une critique en règle du mariage et du fonctionnement des couples, poussé jusqu’à l’absurde. Celui qui a renouvelé l’art du vaudeville serait peut-être surpris de constater à quel point ses pièces sont toujours d’actualité. Même si la langue a légèrement vieillie par endroits, les thèmes abordés trouvent toujours un incroyable écho dans notre quotidien. Il faut croire cependant que les mœurs n’ont pas évolué à la même vitesse dans tous les domaines, et que, si les rapports de force dans le couple vont vers un certain équilibrage, il n’en est pas de même pour le monde politique où l’ambition et le calcul règnent toujours en maître.
Les six comédiens nous offrent là une belle lecture du texte de Feydeau, dans un jeu dynamique et fluide, jonglant avec la drôlerie et la parodie sans pour autant glisser dans le piège du burlesque. Nathalie Mercier campe une Léonie tyrannique et une Clarisse provocatrice à souhait. Elle occupe la scène de belle manière en déployant une belle énergie mais reste très juste dans son interprétation en évitant l’écueil de la clownerie et de la facilité. Laurent Manzoni se partage entre les rôles de la bonne et celui du député, dans un jeu posé et convaincant. Jean-Philippe Meyer est à la fois la sage-femme de Léonie et le politique véreux de Clarisse. D’une aisance impressionnante dans les deux rôles, il montre une très belle présence sur scène. Raphaël Scheer campe le mari ridicule et le journaliste du Figaro, dans un jeu qui semble naturel et précis. Dominique Kling apparaît en père de Léonie et en valet voyeur de Clarisse, bien installé dans les textes et les rôles. Jannick Voirin interprète la mère de Léonie, tyrannique et dominatrice, de manière énergique et assurée.
Après quasiment cent ans d’existence, le texte de Feydeau reste très vrai et se teinte même d’une actualité surprenante. La compagnie BoulvArt Théâtre nous en offre une lecture et un hommage de qualité.
Les deux pièces seront reprise mi-octobre au PréO d’Oberhausbergen, en mai au Festival de Phalsbourg et au Tap’s à Strasbourg.