jeudi 10 décembre 2009

St'Art 2009...

Bien sûr, le rendez-vous incontournable, la grande foire régionale d'art contemporain c'est St'Art, à Strasbourg.
Bien sûr, on y trouve à boire et à manger, de grandes et grosses galeries, d'autres plus discrètes et moins connues...
Bien sûr, c'est l'endroit rêvé pour un tas de monde qui veut voir et surtout être vu....
Mais malgré tout cela, c'est tout de même un moment privilégié pour se faire un joli coup d'oeil circulaire sur la production actuelle, les valeurs qui montent, les tendances et les audaces...
Pour ma part, j'ai revu des pièces qui reviennent depuis plusieurs années, ce qui me fait dire que les grandes galeries devraient au moins tenir à jour la liste de qu'elles exposent, afn de ne pas revenir toujours avec les mêmes choses...
Pour ma part, j'ai vu des choses curieuses et j'ai fait de belles rencontres, en voici quelques-unes. Tout d'abord les locaux de l'étape sur le stand de la COOP : Sylvier Lander, Raymond Waydelich (les deux ci-dessous), Christophe Meyer, Daniel Depoutot et Christian Geiger, qui ont dédicacé des sérigraphies sur toile (un cabas pour faire les courses !) au profit d'une association caritative. Bel esprit, joli pied de nez... J'aime.
Et puis revoir la peinture de Matteo Massagrande ça fait toujours plaisir. Des paysages et des intérieurs vides, une géométrie du volume et toujours ces portes ouvertes sur rien.

Finalement, quatre murs qui ne contiennent pas grand chose, ou alors uniquement des souvenirs, des traces de passage.

L'empreinte de la nostalgie est sensible sur ces murs fatigués, ces carrelage dépareillés, toujours baignés d'une lumière douce et exquise. Il flotte dans l'air quelque chose d'indéfinissable, comme une amnésie qui se cherche, un voyage à la rencontre d'évocations surranées. Ou alors un parfum de sieste, un moment rare, le temps suspendu ou figé. Une calme indolence.

Je suis sûr que la clé est aussi cachée dans cette nature morte, dans ces fruits mûrs qui ne demandent qu'à être dévorés, mais avec lenteur et respect, avec attention et déchirure. Il y a dans la peinture de Massagrande quelque chose qui est de l'ordre de la friche, de l'espace abandonné, délaissé, laissé au repos pour un temps, accroché à un fil ténu et invisible, fragile. Quelque chose qui interroge sur la présence et la vacuité, sur ce qui reste de ce qui a été, du vestige et de l'abandon.

dimanche 22 novembre 2009

Compagnie Coloniale 50 g

Ma dernière trouvaille : une boîte de la Compagnie Coloniale. De couleur verte; elle contenait 50 grammes de thé de Ceylan. Ses dimensions : base 60 mm par 40 mm, hauteur 87 mm. Sur la face avant, en plus des inscriptions classiques (Thé de Ceylan, mélange extra, Compagnie Coloniale, Paris, Poids net 50 g) on trouve un joli médaillon dans lequel on aperçoit un personnage assis en tailleur (visiblement un Indien) coiffé d'un turban et portant un plateau sur lequel est juchée.... une boîte de la Compagnie Coloniale ! Les deux faces latérales portent les mêmes inscriptions.Sur la face arrière, on retrouve encore les mêmes indications, avec, en plus, l'adresse de l'époque , insérée dans les deux médaillons accrochés à l'ancre marine par des cordages : Chocolaterie de la Compagnie Coloniale à Passy (Seine). Entrepôt général, rue Volta n° 37, Paris. La partie supérieure de l'ancre est surmontée de deux ailes déployées, sur le bandeau on peut lire(avec difficulté, mais en agrandissant l'image on y arrive !) : France Colonies.Sur le couvercle, on distingue l'inscription circulaire Compagnie Coloniale Paris, avec, en son centre, l'ancre de marine, l'un des symboles de cette société.

Un petit tour dehors...

Dimanche après-midi, il fait doux et on s'est dit que ce serait sympa d'aller faire un petit tour dehors du côté du château de l'Ortenbourg, d'aller se ballader dans les vignes avec les chiens. L'idée fut bonne, d'abord parce que c'est toujours le pied d'aller respirer au autre air et ensuite on en a pris plein les yeux : de drôles de fleurs et un ciel fabuleux. En prime quelques raisins qui avaient pris le temps de mûrir, de concentrer leurs arômes, et qui n'attendaient qu'une chose, c'est qu'on les cueille et qu'on s'explose les papilles !

vendredi 30 octobre 2009

Les écrivains-peintres au musée Würth

Mon dernier article, à paraître dans la revue TRANSVERSALLES du mois de novembre prochain.Würth reçoit Günter Grasse et Gao Xinjian

Le Musée Würth France Erstein propose actuellement, et ce jusqu’au 16 mai prochain, « L’ombre des Mots », une mise en parallèle et en dialogue des œuvres de Gao Xingjiang et de Günter Grass. Cette approche, ici inédite mais réellement fructueuse, offre au grand public une vision plastique de deux artistes connus davantage pour leurs écrits que pour leurs travaux peints. Au-delà des mots, ils revendiquent tous deux une pratique picturale, tout en refusant à la fois de séparer les genres mais aussi de les enfermer dans les ghettos de la classification pédante. Ce sont des écrivains qui peignent, ignorant les frontières entre les domaines.

Günter Grass est né à Danzig (actuelle Gdansk) en 1927. Sa formation première est artistique, puisqu’il fît des études de sculpture et de dessin à l’Académie des Beaux-arts de Düsseldorf d’abord, puis à l’Académie supérieure des Beaux-arts de Berlin ensuite. Ce n’est qu’à partir du milieu des années cinquante qu’il publie ses écrits, recevant en 1958 le Prix du Groupe 47 pour « Le Tambour », lequel décrochera aussi le Prix Français du Meilleur Livre Etranger en 1962 et sera adapté au cinéma en 1979 par Volker Schlöndorff. Sa vie est rythmée par de nombreuses publications (« Les Années de chien », « Gleisdreieck », « Journal d’un escargot », « Le Turbot », « La Ratte »…) mais aussi par son engagement politique dans le parti social-démocrate allemand et de nombreux voyages à l’étranger. Ses séjours à Calcutta (Inde) le marqueront particulièrement. Günter Grass reçoit le Prix Nobel de littérature en 1999.
Gao Xingjiang est né en 1940 à Gangzhou (Chine, province du Jiangxi). Ses études littéraires l’emportent vers la traduction en mandarin d’écrivains occidentaux (Ionesco, Prévert, Michaux). Pendant la Révolution Culturelle, il est envoyé pendant six ans en camp de rééducation. Il sera forcé de brûler ses manuscrits. Lors d’un voyage en Europe en 1978 il visite les grands musées et en ressort impressionné par la force et l’intensité de la couleur. Il décide alors d’abandonner l’huile et de revenir au monochrome par la pratique de l’encre de Chine. Ses premières publications, à partir de 1979, sont des essais, des nouvelles et des récits. Sa pièce « Arrêt de bus » est interdite par les autorités de son pays en 1983 mais c’est en 1989, après les évènements de la place Tien An Men et la publication de « La Fuite » que l’ensemble de son œuvre est interdite en Chine. « La Montagne de l’âme » sort en 1990. En 1997 il obtient la nationalité française et s’installe à Paris. Gao Xinjiang reçoit le Prix Nobel de Littérature en 2000. Au-delà du fait qu’ils soient tous deux lauréats du Prix Nobel de Littérature (et de surcroît deux années successives), plusieurs points communs émergent des parcours de ces deux artistes. Ecrivains mais aussi peintres, ils sont tous deux profondément marqués par leur histoire et celle de leur pays. Si Gao exprime dans sa peinture sa résistance à la Révolution Culturelle et sa quête de la liberté, Grass quant à lui prend position d’observateur du vingtième siècle, de ses excès et de ses injustices. Même si leurs parcours sont éloignés, leurs préoccupations sont proches, leurs pratiques voisines.
L’exposition « L’Ombre des mots » est organisée en plusieurs volets et thèmes successifs. Au départ, trois vitrines présentent les livres publiés par les écrivains-artistes, ainsi que des manuscrits originaux. Il est intéressant de noter que les couvertures sont toujours réalisées par leurs soins. La grande salle du rez-de-chaussée reprend le thème de l’histoire et du temps. On peut y apprécier une série complète de « Mon siècle » de Günter Grass, constituée par une centaine d’aquarelles dont chacune illustre un fait historique marquant, à la manière d’un agenda séculaire. Richement coloré, l’ensemble nous renvoie aux aléas de l’histoire. Parallèlement, et leur faisant face, les peintures de Gao Xinjiang évoque le besoin impérieux d’opposer l’asservissement politique à la nécessité de la liberté individuelle. « La Fin du Monde », « L’Ecroulement » sont autant de tableaux exprimant fortement la vulnérabilité des systèmes politiques, qui sont, par essence, voués à disparaître. Une partie de la salle est réservée à une dizaine de croquis et d’études préparatoires.
A l’étage se succèdent quatre thèmes : Ombre et lumière, la Quête, la Sensualité et la Nature. Dans la partie Ombre et Lumière, Gao Xinjiang nous rappelle que, même si son travail est basé sur l’utilisation d’une noir unique décliné en de dizaines de gris, l’élément essentiel n’en reste pas moins la lumière qui est «… l’âme de l’encre ».
La salle réservée au thème de la quête met en parallèle le travail des deux artistes. Face aux encres de Chine sur papier et sur toile de Gao se développe le deuxième cycle de Günter Grass « Tirer la langue », une série de dessins réalisés à l’encre de seiche. Lors de ses voyages à Calcutta, l’artiste a côtoyé la grande misère des bidonvilles indiens et ses dessins sont l’expression d’un cri révolté. La déesse Kali, tirant la langue, nous renvoie à ses symboles de fécondation et de mort, mais aussi à la honte que Grass a ressentie face au spectacle de la pauvreté.
Le thème de la sensualité est illustré par Gao au travers de plusieurs peintures dont « Le désir » (2004) et « La révélation » (2008), exprimant avec force et sensibilité la nature profonde du désir et de son objet.
La quatrième salle est dédiée à la nature. Gao Xinjiang nous parle là du ciel, de la terre et des paysages qu’il a traversé.
Le dernier couloir reprend la série des « Aquapoèmes » de Günter Grass. L’artiste y mélange aquarelle et écriture, faisant émerger de ces objets du quotidien « qu’on ne voit plus à force de les voir » une poésie d‘une grande douceur. On y reconnaîtra entre-autres ses pipes, sa machine à écrire et sa bouteille d’encre.
Si la peinture de Günter Grass est essentiellement narrative et développe des récits ancrés et ouverts sur le réel, la peinture de Gao Xinjiang est davantage l’expression d’une intériorisation. A la fois reflet d’une perception, d’une émotion et d’une réflexion, elle ne peut ne cantonner à l’abstraction ou à la figuration, sa force prenant sa source dans la puissance de l’évocation.
Abolissant les frontières entre l’écriture et la peinture, les deux artistes nous invitent à une ouverture esthétique. Si pour Gao l’écriture trouve son prolongement dans la peinture, pour Grass elle ne peut s’en défaire et y reste intimement liée. Ce mélange des domaines et la richesse qui en découle sont des invitations permanentes à ouvrir nos esprits et à sortir des ségrégations stériles. La programmation très ouverte des manifestations du Musée Würth autour de cette exposition en est un magnifique reflet. Nul doute qu’elle saura nous séduire.

vendredi 16 octobre 2009

Utagawa Hiroshige à l'Illiade

En collaboration avec le CEEJA (Centre Européen d'Etudes Japonaises en Alsace), l'Illiade (Illkirch) a accueilli pour une semaine, du 8 au 17 octobre, les "Cinquante trois relais de la route de Tokaïdo" de Utugawa Hiroshige (1797-1858). Cette série de gravures fut sans doute celle qui offrit à ce maître de l'estampe japonaise (Ukiyo-e, les images du monde flottant) une notoriété inconstestée, tant au Japon que dans le monde.
Il est tout à fait exceptionnel de pouvoir admirer cet ensemble dont le CEEJA possède une série complète. De mémoire, la dernière expo a dû se tenir au Grand Palais en 2004, c'est dire la chance qui nous était offerte là.
Ne pouvant reproduire ici les 53 estampes, j'ai choisi de n'en montrer que trois, mais pas des moindres, puisque ce sont celles qui ont comme sujet la maison de thé. Le trait y est toujours précis, la couleur sublime, les représentations évocatrices, avec un sens du premier plan très moderne. On ne peut que se régaler !
Toutes les estampes étant présentées sous-verre, quelques reflets sont venus pirater les images, j'en suis désolé. J'ai choisi pour chacune des oeuvres, une vue générale et un gros plan pour éclairer un détail de la scène.

Relais n°20 Meibutsu chamise (Maison de thé aux célèbres spécialités)
Relais n°27 Dechaya (La maison de thé de plein air)Relais n°53 Hachirii chamise (La maison de thé de la source)
Pour aller sur le site du CEEJA, cliquer sur le lien suivant http://www.ceeja-japon.com/

lundi 12 octobre 2009

Quand les écureuils étaient des abeilles...

En me balladant dans Colmar je suis tombé sur ce qui semble avoir été un ancien siège de la Caisse d'Epargne, la "banque à l'écureuil", rue Bruat! Il semblerait que cela n'a cependant pas toujours été le cas. Sur ce bâtiment imposant comportant une belle collonnade sur la façade, mais visiblement inoccupé, on trouve une ruche et de petites abeilles, qui ont sans doute précédé le sympathique ramasseur de noisettes...
J'y ai remarqué aussi une belle lanterne d'inspiration orientale...
Evidemment, le choix symbolique n'est pas très éloigné de celui de l'écureuil : travailler, amasser pour prévoir, etc... On est bien loin des salaires des traders et des scandales financiers des derniers mois...
Il est vrai que le nom de cette banque a encore changé, on est passé de l'animal au populaire... Finalement, un bon écran de fumée permet toujours de masquer ce qui ne doit pas être vu.

vendredi 9 octobre 2009

Gao Xingjian au musée Würth














Hier soir, vernissage de la nouvelle exposition du musée Würth à Erstein. "L'ombre des mots" réunit deux écrivains Prix Nobel de Littérature mais aussi dessinateurs et peintres : Gao Xingjian et Günther Grass.

Beaucoup de monde (sans doute près de 800 personnes) pour ce qui fait déjà figure d'évènement. La peinture de Gao Xingjian s'inscrit dans la grande tradition des travaux à l'encre mais témoigne du refus du totalitarisme et des excès de la révolution culturelle chinoise. Ce double éclairage permet d'appréhender un travail concentré et réfléchi, à l'expression puissante et saisissante. (ci après : "Le vide", "La danseuse") Impressions fortes, très fortes. (ci après "Le souvenir")Le billet sur les travaux de Günther Grass suivra prochainement.
Pour aller sur le site du Musée Wûrth, cliquer sur le lien http://www.musee-wurth.fr/fr/secondaire/accueil/

mardi 29 septembre 2009

Le pied...

Au cours d'une petite ballade à Châtenois (Bas-Rhin) , nous avons fait un tour du côté des remparts et de l'église. Le coin est superbe et les vieilles pierres vraiment intéressantes. Nous avons aussi vu cette drôle de chaussure en bois plein, fixée au-dessus du linteau d'une porte.Forme immobile qui n'a jamais arpenté aucun chemin ni escaladé aucune montagne... On imagine facilement qu'ici a travaillé un cordonnier ou un bottier. Dernière trace visible de son activité, mémoire discrètement affichée. Il y a là-dedans l'évocation d'un savoir-faire mais aussi aussi d'un goût, d'une élégance. Le pied !

lundi 21 septembre 2009

Petite adresse sympa

Nous avons trouvé une petite adresse sympa samedi dernier à Colmar. Ca s'appelle Le Palais des Anges et c'est situé dans une jolie petite maison à colombage Quai de la Poissonnerie.
L'intérieur est tout en longueur, la déco est très agréable et l'ambiance cool, mêlant habilement le bois et des meubles classiques, à l'esprit un peu baroque. A l'étage, on découvre une jolie terrasse, coupée du monde et très intimiste.La carte est originale, allant du curry de gambas au jambonneau sur lit de choucroute. Nous avons essayé les deux plats, ils sont excellents. La carte des vins est très correcte et on peut être servi au verre. La carte des thés gagnera à être travaillée et enrichie, à suivre... Au final, l'addition n'est pas méchante et le patron, assez jeune, efficace et discret.
Nous avons passé là un bon moment. A conseiller.

jeudi 17 septembre 2009

Charles Lapicque le dérangeur

Voici mon dernier article, à paraître dans le prochain numéro d'Hebdoscope (25 septembre).

Le dérangeur de génie
Le Musée Unterlinden de Colmar présente, jusqu'au 12 octobre encore, des peintures et dessins de Charles Lapicque. Une invitation à découvrir à travers une soixantaine de tableaux et une trentaine de dessins, l'œuvre d'un artiste méconnu, qui a traversé le vingtième siècle sans jamais être enfermé dans un courant dominant. Cette exposition est organisée conjointement avec le musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun et le musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables d’Olonne. Né à la fin d’un siècle, Charles Lapicque (1898 – 1988) ne se destine pas aux beaux-arts. Ingénieur de formation, sa carrière est celle d'un scientifique, centralien, spécialiste de la distribution de l'énergie électrique. Passionné d'optique, il soutient même une thèse en 1938 sur la vision et le contraste des couleurs. C'est au début un artiste qui peint par plaisir, jouant avec la toile et les pinceaux dans une approche plus ludique que réfléchie. Suite à sa première exposition à la galerie parisienne Jeanne-Bucher en 1928, il décide de se consacrer à la peinture. Très rapidement, il mettra en application ses théories sur la vision des couleurs et des contrastes, allant à l'encontre des pratiques établies, réservant les tons bleus aux premiers plans et plaçant les rouges et les orange en arrière plan. Autodidacte, il est aussi indépendant et ne s'attachera jamais à l'école du moment ou aux tendances majoritaires. En 1941, il est l'un des membres éminents du groupe des Jeunes Peintres de Tradition Française. A ce titre, il influencera de jeunes artistes comme Tal Coat, Manessier ou Bazaine.
Charles Lapicque n'est pas le peintre d'un seul style. Il se démarque tout au long de son travail par un décalage constant, même si on reconnaît dans ses œuvres l'influence du Fauvisme, du Cubisme ou encore celle de peintres comme Henri Matisse, Raoul Dufy ou Nicolas de Staël, même si parfois il nous renvoie à l’Art Brut et aux Surréalistes. Sa peinture est à contrecourant : alors que dans les années quarante, l'abstraction domine, il revient à la figuration. Ses thèmes varient également, passant de la nature morte (les nappes) aux thèmes historiques classiques (les mythes de l’Antiquité), des scènes sportives (tennis et équitation) aux bords de mer et aux bateaux (il fut à partir de 1948 Peintre agréé de la Marine et le resta pendant une quinzaine d’années). Cependant si les sujets sont classiques, ils sont toujours traités dans un esprit d’avant-garde. Rejetant les formalismes, maniant sa palette et ses crayons avec humour, voire avec causticité, guidé par son goût de l’exploration issu de sa formation scientifique, curieux de tout mais enfermé nulle part, Charles Lapicque est un artiste hors-cadre. Se nourrissant de tout et testant sans relâche, il décale et déplace le regard, forçant le spectateur à la réflexion, le déstabilisant par ses questions. Il invite le spectateur à sortir des sentiers battus et à prendre des chemins de traverse, même si parfois on peut y croiser la route d’autres artistes. En fait, son incessant décalage le place en situation de précurseur, à la fois du Pop Art, du Nouveau Réalisme et de la Nouvelle Figuration. La soixantaine de tableaux présentés à l’exposition, dont beaucoup sont issus de collections privées, permet de retracer avec justesse et clarté les moments forts de sa carrière, soulignant avec efficacité les étapes de son évolution, illustrant richement les divers thèmes traités. « Chasse au tigre » (huile sur toile, 1961), « L’embarquement pour Cythère » (huile sur toile, 1981) ou encore « Régates à basse mer » (huile sur toile, 1951) en sont à l’évidence des points remarquables, mais chez cet artiste les ruptures sont tellement fréquentes et marquées que près d’un tiers des œuvres exposées pourraient en constituer des jalons. Autant les « Figures » (huile sur papier, 1944) font écho aux Arts Premiers, autant la série des « Lagunes bretonnes » de 1959 frappent par leur douceur, autant « Désert » (acrylique sur toile, 1975) ou « La course de cavaliers » (acrylique dur toile, 1976) sont remarquable par leur vision synthétique et la force de leur construction. La palette est toujours d’une richesse étonnante, mêlant la puissance du trait à la sensualité brute des couleurs et de leur usage. La série de dessins à l’encre ou à la mine de plomb est à apprécier en regard des collections médiévales du musée d’Unterlinden, les danses macabres et les crucifixions nous renvoyant aux primitifs rhénans. Sa passion pour l’anatomie est ici visible à travers les organes enchevêtrés et les re-constructions qu’il effectue. Charles Lapicque est un artiste du cheminement, suivant toujours deux directions autonomes. Il nous invite à sortir des chemins usés par les foules et à pénétrer dans un monde où règnent une couleur sensuelle, un mouvement décomposé en éléments simultanés, un langage qui à travers la toile nous propose à la fois l’expérimentation du physicien et l’imaginaire du peintre.
Inclassable et de ce fait dérangeant, il est l’empêcheur-de-tourner-en-rond de la création artistique, ne se trouvant jamais là où on l’attend, surgissant ailleurs avec ses questions, avec son regard oblique, remettant en permanence le travail et sa réflexion sur l’ouvrage. L’évolution des courants artistiques n’a jamais été une rivière tranquille mais bien une succession d’avancées audacieuses et de ruptures fortes, Charles Lapicque est de ceux qui donnent des coups-de-pieds dans les fourmilières pour éviter que leurs sociétés ne s’y endorment. A travers ses propositions, passant de l’observation à sa transcription sensible, il interroge le sens du monde et observe inlassablement sa cohérence.
Illustrations, de haut en bas : "Force 8", "Danse macabre","Lagune en Bretagne", Danse macabre","Gendarme", "Lagune en Bretagne".