Le Musée Würth France Erstein propose actuellement, et ce jusqu’au 16 mai prochain, « L’ombre des Mots », une mise en parallèle et en dialogue des œuvres de Gao Xingjiang et de Günter Grass. Cette approche, ici inédite mais réellement fructueuse, offre au grand public une vision plastique de deux artistes connus davantage pour leurs écrits que pour leurs travaux peints. Au-delà des mots, ils revendiquent tous deux une pratique picturale, tout en refusant à la fois de séparer les genres mais aussi de les enfermer dans les ghettos de la classification pédante. Ce sont des écrivains qui peignent, ignorant les frontières entre les domaines.
Günter Grass est né à Danzig (actuelle Gdansk) en 1927. Sa formation première est artistique, puisqu’il fît des études de sculpture et de dessin à l’Académie des Beaux-arts de Düsseldorf d’abord, puis à l’Académie supérieure des Beaux-arts de Berlin ensuite. Ce n’est qu’à partir du milieu des années cinquante qu’il publie ses écrits, recevant en 1958 le Prix du Groupe 47 pour « Le Tambour », lequel décrochera aussi le Prix Français du Meilleur Livre Etranger en 1962 et sera adapté au cinéma en 1979 par Volker Schlöndorff. Sa vie est rythmée par de nombreuses publications (« Les Années de chien », « Gleisdreieck », « Journal d’un escargot », « Le Turbot », « La Ratte »…) mais aussi par son engagement politique dans le parti social-démocrate allemand et de nombreux voyages à l’étranger. Ses séjours à Calcutta (Inde) le marqueront particulièrement. Günter Grass reçoit le Prix Nobel de littérature en 1999.
Gao Xingjiang est né en 1940 à Gangzhou (Chine, province du Jiangxi). Ses études littéraires l’emportent vers la traduction en mandarin d’écrivains occidentaux (Ionesco, Prévert, Michaux). Pendant la Révolution Culturelle, il est envoyé pendant six ans en camp de rééducation. Il sera forcé de brûler ses manuscrits. Lors d’un voyage en Europe en 1978 il visite les grands musées et en ressort impressionné par la force et l’intensité de la couleur. Il décide alors d’abandonner l’huile et de revenir au monochrome par la pratique de l’encre de Chine. Ses premières publications, à partir de 1979, sont des essais, des nouvelles et des récits. Sa pièce « Arrêt de bus » est interdite par les autorités de son pays en 1983 mais c’est en 1989, après les évènements de la place Tien An Men et la publication de « La Fuite » que l’ensemble de son œuvre est interdite en Chine. « La Montagne de l’âme » sort en 1990. En 1997 il obtient la nationalité française et s’installe à Paris. Gao Xinjiang reçoit le Prix Nobel de Littérature en 2000. Au-delà du fait qu’ils soient tous deux lauréats du Prix Nobel de Littérature (et de surcroît deux années successives), plusieurs points communs émergent des parcours de ces deux artistes. Ecrivains mais aussi peintres, ils sont tous deux profondément marqués par leur histoire et celle de leur pays. Si Gao exprime dans sa peinture sa résistance à la Révolution Culturelle et sa quête de la liberté, Grass quant à lui prend position d’observateur du vingtième siècle, de ses excès et de ses injustices. Même si leurs parcours sont éloignés, leurs préoccupations sont proches, leurs pratiques voisines.
L’exposition « L’Ombre des mots » est organisée en plusieurs volets et thèmes successifs. Au départ, trois vitrines présentent les livres publiés par les écrivains-artistes, ainsi que des manuscrits originaux. Il est intéressant de noter que les couvertures sont toujours réalisées par leurs soins. La grande salle du rez-de-chaussée reprend le thème de l’histoire et du temps. On peut y apprécier une série complète de « Mon siècle » de Günter Grass, constituée par une centaine d’aquarelles dont chacune illustre un fait historique marquant, à la manière d’un agenda séculaire. Richement coloré, l’ensemble nous renvoie aux aléas de l’histoire. Parallèlement, et leur faisant face, les peintures de Gao Xinjiang évoque le besoin impérieux d’opposer l’asservissement politique à la nécessité de la liberté individuelle. « La Fin du Monde », « L’Ecroulement » sont autant de tableaux exprimant fortement la vulnérabilité des systèmes politiques, qui sont, par essence, voués à disparaître. Une partie de la salle est réservée à une dizaine de croquis et d’études préparatoires.
A l’étage se succèdent quatre thèmes : Ombre et lumière, la Quête, la Sensualité et la Nature. Dans la partie Ombre et Lumière, Gao Xinjiang nous rappelle que, même si son travail est basé sur l’utilisation d’une noir unique décliné en de dizaines de gris, l’élément essentiel n’en reste pas moins la lumière qui est «… l’âme de l’encre ».
La salle réservée au thème de la quête met en parallèle le travail des deux artistes. Face aux encres de Chine sur papier et sur toile de Gao se développe le deuxième cycle de Günter Grass « Tirer la langue », une série de dessins réalisés à l’encre de seiche. Lors de ses voyages à Calcutta, l’artiste a côtoyé la grande misère des bidonvilles indiens et ses dessins sont l’expression d’un cri révolté. La déesse Kali, tirant la langue, nous renvoie à ses symboles de fécondation et de mort, mais aussi à la honte que Grass a ressentie face au spectacle de la pauvreté.
Le thème de la sensualité est illustré par Gao au travers de plusieurs peintures dont « Le désir » (2004) et « La révélation » (2008), exprimant avec force et sensibilité la nature profonde du désir et de son objet.
La quatrième salle est dédiée à la nature. Gao Xinjiang nous parle là du ciel, de la terre et des paysages qu’il a traversé.
Le dernier couloir reprend la série des « Aquapoèmes » de Günter Grass. L’artiste y mélange aquarelle et écriture, faisant émerger de ces objets du quotidien « qu’on ne voit plus à force de les voir » une poésie d‘une grande douceur. On y reconnaîtra entre-autres ses pipes, sa machine à écrire et sa bouteille d’encre.
Si la peinture de Günter Grass est essentiellement narrative et développe des récits ancrés et ouverts sur le réel, la peinture de Gao Xinjiang est davantage l’expression d’une intériorisation. A la fois reflet d’une perception, d’une émotion et d’une réflexion, elle ne peut ne cantonner à l’abstraction ou à la figuration, sa force prenant sa source dans la puissance de l’évocation.
Abolissant les frontières entre l’écriture et la peinture, les deux artistes nous invitent à une ouverture esthétique. Si pour Gao l’écriture trouve son prolongement dans la peinture, pour Grass elle ne peut s’en défaire et y reste intimement liée. Ce mélange des domaines et la richesse qui en découle sont des invitations permanentes à ouvrir nos esprits et à sortir des ségrégations stériles. La programmation très ouverte des manifestations du Musée Würth autour de cette exposition en est un magnifique reflet. Nul doute qu’elle saura nous séduire.
Günter Grass est né à Danzig (actuelle Gdansk) en 1927. Sa formation première est artistique, puisqu’il fît des études de sculpture et de dessin à l’Académie des Beaux-arts de Düsseldorf d’abord, puis à l’Académie supérieure des Beaux-arts de Berlin ensuite. Ce n’est qu’à partir du milieu des années cinquante qu’il publie ses écrits, recevant en 1958 le Prix du Groupe 47 pour « Le Tambour », lequel décrochera aussi le Prix Français du Meilleur Livre Etranger en 1962 et sera adapté au cinéma en 1979 par Volker Schlöndorff. Sa vie est rythmée par de nombreuses publications (« Les Années de chien », « Gleisdreieck », « Journal d’un escargot », « Le Turbot », « La Ratte »…) mais aussi par son engagement politique dans le parti social-démocrate allemand et de nombreux voyages à l’étranger. Ses séjours à Calcutta (Inde) le marqueront particulièrement. Günter Grass reçoit le Prix Nobel de littérature en 1999.
Gao Xingjiang est né en 1940 à Gangzhou (Chine, province du Jiangxi). Ses études littéraires l’emportent vers la traduction en mandarin d’écrivains occidentaux (Ionesco, Prévert, Michaux). Pendant la Révolution Culturelle, il est envoyé pendant six ans en camp de rééducation. Il sera forcé de brûler ses manuscrits. Lors d’un voyage en Europe en 1978 il visite les grands musées et en ressort impressionné par la force et l’intensité de la couleur. Il décide alors d’abandonner l’huile et de revenir au monochrome par la pratique de l’encre de Chine. Ses premières publications, à partir de 1979, sont des essais, des nouvelles et des récits. Sa pièce « Arrêt de bus » est interdite par les autorités de son pays en 1983 mais c’est en 1989, après les évènements de la place Tien An Men et la publication de « La Fuite » que l’ensemble de son œuvre est interdite en Chine. « La Montagne de l’âme » sort en 1990. En 1997 il obtient la nationalité française et s’installe à Paris. Gao Xinjiang reçoit le Prix Nobel de Littérature en 2000. Au-delà du fait qu’ils soient tous deux lauréats du Prix Nobel de Littérature (et de surcroît deux années successives), plusieurs points communs émergent des parcours de ces deux artistes. Ecrivains mais aussi peintres, ils sont tous deux profondément marqués par leur histoire et celle de leur pays. Si Gao exprime dans sa peinture sa résistance à la Révolution Culturelle et sa quête de la liberté, Grass quant à lui prend position d’observateur du vingtième siècle, de ses excès et de ses injustices. Même si leurs parcours sont éloignés, leurs préoccupations sont proches, leurs pratiques voisines.
L’exposition « L’Ombre des mots » est organisée en plusieurs volets et thèmes successifs. Au départ, trois vitrines présentent les livres publiés par les écrivains-artistes, ainsi que des manuscrits originaux. Il est intéressant de noter que les couvertures sont toujours réalisées par leurs soins. La grande salle du rez-de-chaussée reprend le thème de l’histoire et du temps. On peut y apprécier une série complète de « Mon siècle » de Günter Grass, constituée par une centaine d’aquarelles dont chacune illustre un fait historique marquant, à la manière d’un agenda séculaire. Richement coloré, l’ensemble nous renvoie aux aléas de l’histoire. Parallèlement, et leur faisant face, les peintures de Gao Xinjiang évoque le besoin impérieux d’opposer l’asservissement politique à la nécessité de la liberté individuelle. « La Fin du Monde », « L’Ecroulement » sont autant de tableaux exprimant fortement la vulnérabilité des systèmes politiques, qui sont, par essence, voués à disparaître. Une partie de la salle est réservée à une dizaine de croquis et d’études préparatoires.
A l’étage se succèdent quatre thèmes : Ombre et lumière, la Quête, la Sensualité et la Nature. Dans la partie Ombre et Lumière, Gao Xinjiang nous rappelle que, même si son travail est basé sur l’utilisation d’une noir unique décliné en de dizaines de gris, l’élément essentiel n’en reste pas moins la lumière qui est «… l’âme de l’encre ».
La salle réservée au thème de la quête met en parallèle le travail des deux artistes. Face aux encres de Chine sur papier et sur toile de Gao se développe le deuxième cycle de Günter Grass « Tirer la langue », une série de dessins réalisés à l’encre de seiche. Lors de ses voyages à Calcutta, l’artiste a côtoyé la grande misère des bidonvilles indiens et ses dessins sont l’expression d’un cri révolté. La déesse Kali, tirant la langue, nous renvoie à ses symboles de fécondation et de mort, mais aussi à la honte que Grass a ressentie face au spectacle de la pauvreté.
Le thème de la sensualité est illustré par Gao au travers de plusieurs peintures dont « Le désir » (2004) et « La révélation » (2008), exprimant avec force et sensibilité la nature profonde du désir et de son objet.
La quatrième salle est dédiée à la nature. Gao Xinjiang nous parle là du ciel, de la terre et des paysages qu’il a traversé.
Le dernier couloir reprend la série des « Aquapoèmes » de Günter Grass. L’artiste y mélange aquarelle et écriture, faisant émerger de ces objets du quotidien « qu’on ne voit plus à force de les voir » une poésie d‘une grande douceur. On y reconnaîtra entre-autres ses pipes, sa machine à écrire et sa bouteille d’encre.
Si la peinture de Günter Grass est essentiellement narrative et développe des récits ancrés et ouverts sur le réel, la peinture de Gao Xinjiang est davantage l’expression d’une intériorisation. A la fois reflet d’une perception, d’une émotion et d’une réflexion, elle ne peut ne cantonner à l’abstraction ou à la figuration, sa force prenant sa source dans la puissance de l’évocation.
Abolissant les frontières entre l’écriture et la peinture, les deux artistes nous invitent à une ouverture esthétique. Si pour Gao l’écriture trouve son prolongement dans la peinture, pour Grass elle ne peut s’en défaire et y reste intimement liée. Ce mélange des domaines et la richesse qui en découle sont des invitations permanentes à ouvrir nos esprits et à sortir des ségrégations stériles. La programmation très ouverte des manifestations du Musée Würth autour de cette exposition en est un magnifique reflet. Nul doute qu’elle saura nous séduire.
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