Voici le texte de mon prochain article à paraître dans le prochain numéro de Transversalles.
Feydeau aux Tanzmatten
Le BoulevArt Théâtre a présenté début octobre aux Tanzmatten de Sélestat deux petites pièces de Georges Feydeau, écrites en 1911 : « Léonie est en avance » et « Mais n’te promène donc pas toute nue », dans une mise en scène signée Daniel Chambet-Ithier. Deux courtes comédies où le drôle et le cocasse laissent appararaître avec brio une critique en règle des mœurs de leurs temps. Dans une scène épurée ou les éléments de décor sont réduits à l’essentiel, les six comédiens nous régalent d’un théâtre à l’apparence facile, mais en réalité complexe et exigeant.
Les deux pièces sont l’aboutissement d’une résidence partagée entre le PréO d’Oberhausbergen, l’Espace Scène de l’Agence Culturelle d’Alsace et les Tanzmatten de Sélestat.
« Léonie est en avance » nous emporte d’emblée dans un intérieur bourgeois. Madame Léonie est enceinte et sent venir les prémisses d’un accouchement prématuré. Les douleurs reviennent à intervalles réguliers et sont pour elle prétexte à des échanges tendus avec son mari benêt qui lui, aimerait prendre son dîner. Entre le bébé long à venir et les macaronis qui ne passent pas, le dialogue multiplie les effets de tiroir. L’accouchement est encore une affaire purement féminine dont les hommes sont strictement exclus, et ce n’est pas la présence de la sage-femme qui va arranger les choses. Bien sûr, voilà qu’arrivent les parents de la future mère, ce qui n’arrange pas les affaires du pauvre mari, ridicule à souhait, contraint de se soumettre à toutes les exigences et fantaisies de son épouse, allant même, sous la pression collective, à se coiffer d’un ridicule pot de chambre. Ici, on ne sait si le caprice est plus fort que l’intolérance, dans un jeu de dupes qui, finalement, ne voit que des perdants, le fruit de l’accouchement apportant sa propre part de surprise.
Derrière le paravent du discours de la décence, « Mais n’te promène donc pas toute nue » nous emmène dans un autre intérieur bourgeois. Clarisse, femme de député, excentrique, un brin exhibitionniste et follement provocatrice, est opposée à son mari, qui souhaiterait que les tenues de son épouse soient mesurées à l’aune de ses propres ambitions politiques. Pour compliquer les choses dans ce huis-clos tendu, Feydeau y a ajouté Victor, valet curieux et voyeur, toujours là où il ne faut pas, enfin selon. La grande affaire, c’est que l’appartement est situé face aux fenêtres de Clémenceau et que celui-ci n’attend qu’une occasion pour faire chuter celui qui s’imagine déjà en ministre. Alors, lorsque Clarisse entend porter des tenues légères chez elle, apparaît nécessairement le conflit d’intérêts, surtout lorsque s’ajoutent à l’affaire un second homme politique sans scrupules et un journaliste très curieux. Le jeu de la mauvaise foi entraîne les protagonistes dans des échanges où s’opposent le besoin d’émancipation et la rigueur des mœurs, la quête de la liberté au poids des préjugés et de l’ambition. Dans tous les cas de figure, la vérité est toujours aménagée en fonction des besoins, le moralisateur l’arrangeant en justification de ses actes. Le compromis n’est jamais loin de la compromission. Au passage, Feydeau égratigne le pouvoir politique, s’interrogeant sur l’utilité de la présence des députés à la Chambre, et au-delà sur celle des maris dans leur chambre (conjugale).
Dans les deux pièces, la peinture des mœurs convenues cachent une critique en règle du mariage et du fonctionnement des couples, poussé jusqu’à l’absurde. Celui qui a renouvelé l’art du vaudeville serait peut-être surpris de constater à quel point ses pièces sont toujours d’actualité. Même si la langue a légèrement vieillie par endroits, les thèmes abordés trouvent toujours un incroyable écho dans notre quotidien. Il faut croire cependant que les mœurs n’ont pas évolué à la même vitesse dans tous les domaines, et que, si les rapports de force dans le couple vont vers un certain équilibrage, il n’en est pas de même pour le monde politique où l’ambition et le calcul règnent toujours en maître.
Les six comédiens nous offrent là une belle lecture du texte de Feydeau, dans un jeu dynamique et fluide, jonglant avec la drôlerie et la parodie sans pour autant glisser dans le piège du burlesque. Nathalie Mercier campe une Léonie tyrannique et une Clarisse provocatrice à souhait. Elle occupe la scène de belle manière en déployant une belle énergie mais reste très juste dans son interprétation en évitant l’écueil de la clownerie et de la facilité. Laurent Manzoni se partage entre les rôles de la bonne et celui du député, dans un jeu posé et convaincant. Jean-Philippe Meyer est à la fois la sage-femme de Léonie et le politique véreux de Clarisse. D’une aisance impressionnante dans les deux rôles, il montre une très belle présence sur scène. Raphaël Scheer campe le mari ridicule et le journaliste du Figaro, dans un jeu qui semble naturel et précis. Dominique Kling apparaît en père de Léonie et en valet voyeur de Clarisse, bien installé dans les textes et les rôles. Jannick Voirin interprète la mère de Léonie, tyrannique et dominatrice, de manière énergique et assurée.
Après quasiment cent ans d’existence, le texte de Feydeau reste très vrai et se teinte même d’une actualité surprenante. La compagnie BoulvArt Théâtre nous en offre une lecture et un hommage de qualité.
Les deux pièces seront reprise mi-octobre au PréO d’Oberhausbergen, en mai au Festival de Phalsbourg et au Tap’s à Strasbourg.
Le BoulevArt Théâtre a présenté début octobre aux Tanzmatten de Sélestat deux petites pièces de Georges Feydeau, écrites en 1911 : « Léonie est en avance » et « Mais n’te promène donc pas toute nue », dans une mise en scène signée Daniel Chambet-Ithier. Deux courtes comédies où le drôle et le cocasse laissent appararaître avec brio une critique en règle des mœurs de leurs temps. Dans une scène épurée ou les éléments de décor sont réduits à l’essentiel, les six comédiens nous régalent d’un théâtre à l’apparence facile, mais en réalité complexe et exigeant.
Les deux pièces sont l’aboutissement d’une résidence partagée entre le PréO d’Oberhausbergen, l’Espace Scène de l’Agence Culturelle d’Alsace et les Tanzmatten de Sélestat.
« Léonie est en avance » nous emporte d’emblée dans un intérieur bourgeois. Madame Léonie est enceinte et sent venir les prémisses d’un accouchement prématuré. Les douleurs reviennent à intervalles réguliers et sont pour elle prétexte à des échanges tendus avec son mari benêt qui lui, aimerait prendre son dîner. Entre le bébé long à venir et les macaronis qui ne passent pas, le dialogue multiplie les effets de tiroir. L’accouchement est encore une affaire purement féminine dont les hommes sont strictement exclus, et ce n’est pas la présence de la sage-femme qui va arranger les choses. Bien sûr, voilà qu’arrivent les parents de la future mère, ce qui n’arrange pas les affaires du pauvre mari, ridicule à souhait, contraint de se soumettre à toutes les exigences et fantaisies de son épouse, allant même, sous la pression collective, à se coiffer d’un ridicule pot de chambre. Ici, on ne sait si le caprice est plus fort que l’intolérance, dans un jeu de dupes qui, finalement, ne voit que des perdants, le fruit de l’accouchement apportant sa propre part de surprise.
Derrière le paravent du discours de la décence, « Mais n’te promène donc pas toute nue » nous emmène dans un autre intérieur bourgeois. Clarisse, femme de député, excentrique, un brin exhibitionniste et follement provocatrice, est opposée à son mari, qui souhaiterait que les tenues de son épouse soient mesurées à l’aune de ses propres ambitions politiques. Pour compliquer les choses dans ce huis-clos tendu, Feydeau y a ajouté Victor, valet curieux et voyeur, toujours là où il ne faut pas, enfin selon. La grande affaire, c’est que l’appartement est situé face aux fenêtres de Clémenceau et que celui-ci n’attend qu’une occasion pour faire chuter celui qui s’imagine déjà en ministre. Alors, lorsque Clarisse entend porter des tenues légères chez elle, apparaît nécessairement le conflit d’intérêts, surtout lorsque s’ajoutent à l’affaire un second homme politique sans scrupules et un journaliste très curieux. Le jeu de la mauvaise foi entraîne les protagonistes dans des échanges où s’opposent le besoin d’émancipation et la rigueur des mœurs, la quête de la liberté au poids des préjugés et de l’ambition. Dans tous les cas de figure, la vérité est toujours aménagée en fonction des besoins, le moralisateur l’arrangeant en justification de ses actes. Le compromis n’est jamais loin de la compromission. Au passage, Feydeau égratigne le pouvoir politique, s’interrogeant sur l’utilité de la présence des députés à la Chambre, et au-delà sur celle des maris dans leur chambre (conjugale).
Dans les deux pièces, la peinture des mœurs convenues cachent une critique en règle du mariage et du fonctionnement des couples, poussé jusqu’à l’absurde. Celui qui a renouvelé l’art du vaudeville serait peut-être surpris de constater à quel point ses pièces sont toujours d’actualité. Même si la langue a légèrement vieillie par endroits, les thèmes abordés trouvent toujours un incroyable écho dans notre quotidien. Il faut croire cependant que les mœurs n’ont pas évolué à la même vitesse dans tous les domaines, et que, si les rapports de force dans le couple vont vers un certain équilibrage, il n’en est pas de même pour le monde politique où l’ambition et le calcul règnent toujours en maître.
Les six comédiens nous offrent là une belle lecture du texte de Feydeau, dans un jeu dynamique et fluide, jonglant avec la drôlerie et la parodie sans pour autant glisser dans le piège du burlesque. Nathalie Mercier campe une Léonie tyrannique et une Clarisse provocatrice à souhait. Elle occupe la scène de belle manière en déployant une belle énergie mais reste très juste dans son interprétation en évitant l’écueil de la clownerie et de la facilité. Laurent Manzoni se partage entre les rôles de la bonne et celui du député, dans un jeu posé et convaincant. Jean-Philippe Meyer est à la fois la sage-femme de Léonie et le politique véreux de Clarisse. D’une aisance impressionnante dans les deux rôles, il montre une très belle présence sur scène. Raphaël Scheer campe le mari ridicule et le journaliste du Figaro, dans un jeu qui semble naturel et précis. Dominique Kling apparaît en père de Léonie et en valet voyeur de Clarisse, bien installé dans les textes et les rôles. Jannick Voirin interprète la mère de Léonie, tyrannique et dominatrice, de manière énergique et assurée.
Après quasiment cent ans d’existence, le texte de Feydeau reste très vrai et se teinte même d’une actualité surprenante. La compagnie BoulvArt Théâtre nous en offre une lecture et un hommage de qualité.
Les deux pièces seront reprise mi-octobre au PréO d’Oberhausbergen, en mai au Festival de Phalsbourg et au Tap’s à Strasbourg.
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