mercredi 8 septembre 2010

Joe Downing au musée d'Unterlinden, à Colmar

Voici le texte de mon article sur la rétrospective Joe Downing, présentée jusqu'au 31 octobre au Musée Unterlinden à Colmar.
Cet article sera publié dans le prochain numéro de Tranversalles, en septembre.
L'expo est splendide, très bien organisée et finement pensée. Je la recommande vivement car il n'est pas courant de voir autant d'oeuvres de cet artiste trop peu connu du public. Le week-end du 23 au 26 septembre s'annonce d'ailleurs comme un moment fort et dense, au vu des nombreuses interventions qui sont organisées.
Ci-dessous "Et la cathédrale de Strabourg" (1975, huile sur toile)

Un américain à Colmar


Le Musée Unterlinden de Colmar présente jusqu’au 31 octobre prochain la rétrospective « Joe Downing, Un américain en France ». Construite essentiellement à partir des œuvres issues de la collection du musée mais aussi de prêts, l’exposition apporte un éclairage très intéressant au travers d’un parcours construit avec intelligence et finesse, portant un éclairage précis sur celui qui fut l’un des grands représentants de l’abstraction lyrique. Couvrant une cinquantaine d’années et soulignant les tournants essentiels d’un travail marqué par une exploration de la couleur et de la lumière, cette exposition est un véritable régal pour le regard et l’esprit. Le musée organise par ailleurs des temps forts autour de cette exposition, le week-end du 23 au 26 septembre.
C’est grâce à la donation Emmanuel Wardi, faite en 2009 et composée de 124 œuvres, que la collection du musée consacrée à Joe Downing a vraiment gagné en ampleur et en densité. Constitué principalement d’huiles sur papier, sur toile et sur bois, de quelques dessins et collages ainsi que d’autres travaux réalisés sur des supports variés comme la terre cuite, le cuir ou le métal, ce don est venu enrichir une première collection initiée par la Société Schongauer depuis le milieu des années soixante-dix. Les premiers achats, dont une commande pour le musée, témoigne de l’intérêt porté à un artiste peu médiatisé mais reconnu comme l’une des figures de la peinture abstraite américaine de la seconde moitié du vingtième siècle en France.
Ci-dessous "Nonobstant" (1966-67, huile sur toile)
Né en 1925 dans le Kentucky (U.S.A.) Joe Downing découvre l’Europe durant la seconde guerre mondiale. Démobilisé, il retourne aux Etats-Unis et suit des cours d’optométrie, mais étudie également la physique de la lumière et des couleurs, à Chicago. L’Art Institute de la ville le voit passer souvent : il y apprécie les tableaux de Georges Braque, Pablo Picasso, Paul Cézanne et Marc Chagall, et particulièrement « Un Après-midi à la Grande Jatte » (1884-86) de Georges Seurat. La conjonction de ses études et la révélation du pointillisme marquent sa sensibilité de manière profonde et constituent parmi les principaux jalons de sa vocation. Au-delà de son goût pour le post-impressionnisme, il admire aussi les mosaïques byzantines et le travail du vitrail. Ces influences se retrouveront tout au long de son œuvre. Parallèlement à ses études, il suit des cours du soir à l’Art Institute et finalement, au lieu de choisir la pratique médicale, bifurque vers la peinture. En 1950, il part à Paris, pôle d’attraction du milieu artistique d’après-guerre, pour un court séjour de quelques mois. Il s’installera définitivement en France dés cette époque, à l’instar de nombreux artistes étrangers. Dés 1952 il expose à Paris à la Galerie Huit et se verra encouragé par Picasso pour sa production. L’année suivante c’est Paul Fachetti qui le présente, juste après Jackson Pollock. Sa notoriété se développe rapidement et la reconnaissance internationale ne se fait pas attendre. En 1968, il achète une maison à Ménerbes, dans le Lubéron, et en fait sa seconde résidence, jusqu’à sa mort en 2007.

Le parcours de l’exposition suit une organisation chronologique et permet d’appréhender l’ensemble du parcours de Joe Downing. Elle démarre au début des années cinquante par les premières huiles sur des cartons de stencils que l’artiste récupérait pour en faire ses supports. Ses premières peintures sont encore figuratives, mais on sent déjà chez l’artiste le besoin de l’exploration de la matière. Il produit aussi une série de collages et d’agrafages, qui, exposés en 1955, le feront connaître par son apport à l’abstraction. A cette époque il se tourne aussi vers la peinture sur toile, qu’il travaille horizontalement au couteau, au rasoir ou au doigt. Ses travaux sont fortement inspirés des vitraux des cathédrales, par la richesse et l’harmonie des couleurs mais aussi à travers la très forte structuration des toiles, marquées par des lignes verticales, à la manière d’une trame.

Dans les années soixante et soixante-dix, il passe progressivement au pinceau et travaille verticalement. Tout en poursuivant son exploration de l’abstraction, il évolue vers une peinture plus précise, plus élaborée, grâce à l’utilisation, entre autres, de glacis légers. Il joue subtilement avec les accords de couleurs et insuffle à ses toiles un mouvement, un frémissement issu des touches juxtaposées. La structure y est toujours présente et la multiplicité des taches colorées, ce caractère si particulier du travail de Joe Downing, nous renvoie directement à la mosaïque et au divisionnisme.
Ci-dessous "La porte de Marguerite Tamisier" (1982, panneau de bois assemblé et peint)

Joe Downing poursuit son travail d’exploration, et, à partir de 1964 se tourne vers un nouveau support : le cuir, peint puis cloué sur du bois. Il apprécie ce matériau peu commun dans la peinture pour sa stabilité et sa bonne tenue. Il lui apporte en outre une souplesse dans l’agencement de ses travaux et une forme de respiration, de détente presque, lorsque le labeur sur la toile appelle une alternative. Il créé ainsi une série de grandes pièces de bois recouvertes de cuirs peints ou non, à l’aspect totémique. A la même époque, il investit également d’autres supports : portes, volets, tuiles de terre cuite. L’exposition nous en propose plusieurs ainsi qu’un exceptionnel ensemble carreaux en terre cuite peints qui était maçonné dans sa demeure de Ménerbes. Pour permettre sa présentation, cet ensemble de carreaux à du être démonté puis reconstitué sur un cadre fixe. Dans ses dernières peintures des années 2000, il reste fidèle à son travail et poursuit son exploration de la couleur et de la lumière.
Ci-dessous, sans titre et sans date ( huile sur cuir peint et clouté sur bois)Une dernière petite salle montre un aspect méconnu du peintre : son goût pour la poésie. Dans les vitrines sont présentés les publications de plusieurs recueils de ses textes, comprenant, entre autres, des illustrations à l’aquarelle. Enfin, un petit film de 14 minutes réalisé par Claude Guibert en 2001 permet d’entendre Joe Downing parlant de son travail.
L'artiste avait souhaité qu’une partie de ses œuvres restent en France et puissent être présentées au grand public. Avec cette exposition, c’est chose faite. Par ailleurs une très grande part de sa production est retournée aux Etats Unis où un musée lui est consacré dans le Kentucky.
Cette rétrospective Joe Downing apporte un éclairage fin et complet sur le travail d’un artiste qui n’a eu de cesse d’explorer, les couleurs, la lumière, mais aussi l’espace et les supports. Le parcours est agréable et cohérent, conçu avec beaucoup de finesse et de sensibilité. Il permet d’appréhender le travail de l’artiste sous ses multiples facettes et de pénétrer dans un univers foisonnant et subtil, où même l’immobile semble animé d’un mouvement et d’une vie intérieure.

Le musée organise, du 23 au 26 septembre, une série de temps forts autour de l’exposition qui permettront au visiteur de découvrir ou d’approfondir l’œuvre et la vie de Joe Downing. Films, conférences, visites guidées, lecture de poèmes par des comédiens, ateliers d’écriture et du regard se succéderont et permettront d’apporter un éclairage supplémentaire.

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